jueves, 22 de septiembre de 2011

LE PARTI COMMUNISTE D'ITALIE FACE À L'OFFENSIVE FASCISTE (1921-1924) - I-PROGRAMME COMMUNISTE-1969-0700

LE PARTI COMMUNISTE D'ITALIE FACE À L'OFFENSIVE FASCISTE (1921-1924) - I


Content:
Le Parti Communiste d'Italie face à l'offensive fasciste (1921-1924) - I
Nature du fascisme
La «Contre-révolution préventive» mûrit à l'ombre de la démocratie
Le début de l'offensive fasciste. Deux thèses fausses sur le fascisme
Cours réel de l'«escalade fasciste»
Fondation du Parti Communiste à Livourne. Nécessité historique de la scission
Conditions de l'action défensive et offensive du prolétariat
Le défaitisme socialiste
Hypocrisie du maximalisme
Des élections au changement de gouvernement
Lutte du Parti Communiste pour l'encadrement militaire des masses
Notes
Source

Le Parti Communiste d'Italie face à l'offensive fasciste (1921-1924) - I

Un excellent communiste qui fut au premier plan de la lutte du prolétariat Italien contre les bandes de Mussolini à l'époque «romantique» et pseudo-révolutionnaire du mouvement fasciste de ce pays, mais qui jamais ne se laissa prendre aux fatales suggestions de l'opportunisme anti-fasiciste, avait coutume de dire que «le pire produit du fascisme a été l'anti-fascisme». Cette boutade est tout à fait incompréhensible pour ces tenants d'une démocratie réformatrice, pacifiste et progressiste qui vivent continuellement dans leurs rèves insipides malgré tous les coups que leur prodigue la réalité capitaliste. Pourtant elle est profonde et vraie, et le sens n'en est pas difficile à déchiffrer pour quiquonque a tant soit peu compris le marxisme. Elle signifie en bref: l'importance du fascisme a été historiquement très limitée; mais celle de l'antifascisme a été beaucoup plus durable, et plus pernicieuse du point de vue des intérêts du prolétariat révolutionnaire et du communisme. Quiconque, en 1969, n'est pas capable de comprendre cela n'a jamais rien compris non seulement au marxisme révolutionnaire, mais même, plus modestement, à son époque.
Au sens propre et étroit, en effet, le mouvement fasciste n'a rempli qu'une fonction limitée: il a sauvé les bourgeoisies d'Italie d'abord, d'Allemagne ensuite et de pays de poids mondial moindre, comme l'Espagne, d'une effroyable banqueroute politique et économique à une époque et dans des circonstances bien précises, à savoir la crise générale qui, dans ces pays surtout, fit suite à la première guerre mondiale. Nous n'entendons pas affirmer par là que ces victoires bourgeoises, ces triomphes écrasants des forces de la conservation capitaliste n'ont pas pesé d'un grand poids dans la défaite de l'Internationale de 1919 et qu'elles sont pour peu de choses dans l'éclatement d'une seconde guerre impérialiste au lieu de la révolution européenne et mondiale voulue non seulement par Lénine, mais par tous les communistes; ce serait nier la réalité. Seulement il y a deux questions à se poser: comment est donc advenue la victoire bourgeoise qu'a représenté l'accession au pouvoir des partis fascistes et nazis? mais aussi et surtout comment se fait-il qu'un quart de siècle après la chute des pouvoirs fascistes qu'on a fait passer comme l'obstacle par excellence au triomphe du prolétariat, le Capital continue à détenir partout, de façon totalitaire, le pouvoir politique dont, évidemment, il use dans son intérêt exclusif? Il suffit de se poser ces questions pour entrevoir le sens de la boutade ci-dessus citée: la bourgoisle italienne, puis la bourgeoisie allemande et un certain nombre de bourgeoisies moindres ont pu vaincre le prolétariat et entraîner derrière elles les classes moyennes que le capitalisme opprime, parce qu'au lieu d'avoir contre elles un prolétariat communiste trempé, elles n'ont trouvé qu'un prolétariat largement «anti-fasciste» qui n'a pas su répliquer à la violence capitaliste par sa violence prolétarienne et se saisir à temps du pouvoir. Surtout - puisque de toute façon, ce n'est ni le prolétariat Italien, ni le prolétariat allemand qui, à eux seuls, pouvaient faire l'histoire du XXème siècle, et que de toute évidence, c'est le prolétariat européen et mondial qui est en cause - si le capitalisme domine toujours, c'est que ce prolétariat n'en est pas encore arrivé à revendiquer sa propre dictature révolutionnaire sous la même influence politique que celle qui a permis déjà son écrasement dans les années 2l-33, à savoir l'attachement persistant aux apparentes concessions économico-sociales qu'il attend de la forme démocratique, mais s'imagine abolies par un pouvoir fasciste déclaré. En d'autres termes, vingt-cinq ans après la chute des Mussolini et des Hitler, les prolétaires du monde sont plus «anti-fascistes» (anti-franquistes, anti-gaullistes, anti-... une foule de noms de politiciens bourgeois rangés dans ce même vaste sac) que communistes révolutionnaires. Tout est là. Et tant qu'une profonde transformation de cette mentalité politique ne sera pas intervenue, la lutte anti-capitaliste restera au point mort, malgré toutes les ridicules vantardises de la démocratie socialisante.
Il est évident que cet état d'esprit du prolétariat a des causes profondes que nous n'avons pas ici à examiner en détail, mais il est certain qu'il est aussi fait de préjugés que la simple connaissance des faits historiques suffirait à ruiner si les partis opportunistes ne cherchaient de toutes leurs forces à la rendre inaccessible à la masse ouvrière, soit par les moyens de la démagogie, soit en faisant tout simplement le silence sur les grandes luttes prolétariennes passées. C'est pour cette raison que le rapport ci-dessous sur le Parti communiste d'Italie devant l'offensive fasciste (rapport présenté à une réunion générale du parti) a un grand intérèt politique, et pas seulement «culturel», pour reprendre l'insupportable jargon bourgeois moderne. Ce rapport démontre en effet, sur la base indiscutable des faits et des textes, quelques vérités trop oubliées: le véritable fossoyeur du prolétariat italien n'a pas tant été le mouvement fasciste, mais la social-démocratie qui, face aux violences des bandes noires, n'a jamais su faire autre chose qu'invoquer le respect de la légalité. Le fascisme lui-même n'a pas triomphé uniquement par la violence, mais aussi par une démagogie réformiste à laquelle les socialistes de la IIème Internationale n'avaient que trop habitué le prolétariat. Enfin, la seule force au monde qui puisse sans mentir effrontément témoigner d'une lutte effective - à la fois politique et militaire - contre le fascisme, d'une lutte purement prolétarienne et libérée de toutes les influences bourgeoises et opportunistes, c'est le Parti communiste d'Italie qui à l'époque se trouvait précisément dans les mains de notre courant. En d'autres termes, c'est précisément la seule section de l'Internationale communiste qui se soit énergiquement refusée aux concessions excessives que faisait la direction de l'Internationale communiste à l'anti-fascisme de type démocratique (concessions auxquelles est malheureusement attaché pour toujours le nom du malheureux Zinoviev) et qui ait dénoncé les dangers opportunistes que cela faisait courir au mouvement communiste; qui a aussi conduit une lutte cohérente, opiniâtre, pleine d'abnégation, aussi contre les misérables bandes noires du fascisme Italien. Si elle fut vaincue, cela dépendit de circonstances plus fortes que la volonté du meilleur parti révolutionnaire. Du moins ne fut-elle pas politiquement liquidée, comme ce fut malheureusement le cas de tous les partis communistes du monde finalement tombés dans une défense pure et simple de la démocratie. Ce n'est pas un hasard. Car seule sa façon marxiste et révolutionnaire de mener et de diriger la lutte vitale contre le mouvement fasciste lui a évité, entre 1939-45, l'adhésion à la guerre impérialiste, c'est-à-dire la mortelle trahison de l'internationalisme prolétarien qui a mis le point final, pour de trop longues années, à la tentative du prolétariat européen et mondial de s'organiser en Parti communiste International, condition indispensable de la victoire sur le Capital auquel l'anti-fascisme a assuré une si longue survie.
Nature du fascisme

Notre thèse de Parti sur le fascisme est qu'il constitue une méthode de gouvernement à laquelle la bourgeoisie recourt chaque fois que, radicalisées par la crise du capitalisme, les masses ne se laissent plus abuser par les mensongères formules de liberté, égalité, démocratie et se montrent décidées à s'emparer du pouvoir. Le fascisme n'est donc pas une excroissance pathologique, quelque chose d'extérieur au régime bourgeois, ou, pis, un retour au régime qui a précédé le triomphe des «principes sacrés» de la révolution française. C'est une des méthodes possibles de gouvernement dont la bourgeoisie se sert chaque fois que la méthode démocratique ne parvient plus à assurer sa domination de classe en dépit de ses promesses égalitaires, et de son influence corruptrice sur les couches supérieures du prolétariat. Que cette méthode de gouvernement s'appelle fascisme ou nazisme ou qu'elle prenne les formes plus provinciales et arriérées du phalangisme, ou celles, plus paternalistes, du corporativisme de Salazar ou enfin la forme primitive et grossière du coup d'État militaire comme en Grèce en 1967, elle reste en substance la même.
Ceux qui, comme les communistes d'Italie dans les années 1919-1922, ont assisté au déchaînement de la réaction bourgeoise et vu de leurs propres yeux les forteresses prolétariennes (journaux ouvriers, Bourses du Travail, Maisons du Peuple) d'abord attaquées et occupées par les forces de police régulières de l'État, puis envahies et incendiées par les escouades fascistes, ceux-là n'ont pu douter que le fascisme fût le fils légitime de la bourgeoisie! Ils ont toujours reconnu en lui une méthode politique de la classe dominante bien facile, elle, à repérer dans les citadelles financières, la magistrature, les forces répressives, la presse et le Parlement lui-même. Ils n'ont jamais douté qu'à l'échelle historique, les deux méthodes, fascisme et démocratie, échangeraient leurs expériences respectives, convergeant dans l'emploi de tous les moyens possibles pour défendre la domination de classe de la bourgeoisie, et se distinguant l'un de l'autre uniquement par un «dosage» différent de ces moyens à imputer à la dynamique de la lutte de classe et non à des volontés individuelles ni même collectives. Le fait est que le fascisme a fait sienne la démagogie du réformisme et de la démocratie socialisante pour les mettre au service d'une tentative d'organisation générale et centralisée de la classe dominante, tandis que la démocratie post-fasciste a hérité de tout l'arsenal répressif du fascisme et de ses méthodes d'intervention dans le domaine de l'économie, tout en rétablissant la fiction séculaire du gouvernement représentatif, de la liberté des citoyens, de la fraternité des classes et, bien entendu, de l'État, «bien commun de tous». Au reste, l'impérialisme, phase suprême du capitalisme ne pouvait pas avoir d'autres effets politiques que celui-là.
Ceci dit, le but du présent rapport (1) est de montrer que les faits historiques des lointaines années 1919-24 ont prouvé la parfaite confluence de toutes les forces politiques, aussi bien démocratiques que fascistes, de la bourgeoisie pour la défense de sa dictature de classe et de faire apparaître l'opposition qui existe entre l'attitude du jeune Parti communiste d'Italie de l'époque et le sabotage réformiste de luttes prolétariennes souvent héroïques, les appels bêlants des maximalistes à la «pacification», «au retour à l'ordre et au droit» et autres semblables infamies. Le Parti communiste fut en effet le seul à poser hardiment la question du fascisme dans ses véritables termes en appelant les prolétaires révolutionnaires à relever le défi bourgeois et à répondre à la violence par la violence, à la lutte armée par la lutte armée, et à se défendre en se préparant à passer à l'offensive dès que le rapport des forces le permettrait. Dans la situation de 1920-22 qui ne lui était malheureusement pas favorable, la classe ouvrière d'Italie descendit plusieurs fois dans la rue, bien décidée à se battre, et chaque fois, le Parti communiste proclama clairement que l'ennemi à écraser était l'ensemble de l'appareil de répression et d'exploitation de la classe dominante dont les trois piliers étaient la démocratie, le fascisme et le réformisme.
La «Contre-révolution préventive» mûrit à l'ombre de la démocratie

Ce n'est nullement l'apparition des chemises noires de Mussolini, mais bel et bien l'appareil tout ce qu'il y a de légal de l'État démocratique qui a permis à la bourgeoisie italienne, d'ailleurs épaulée par la bourgeoisie internationale, de surmonter l'épreuve qui suivit pour elle la première guerre mondiale sous la forme d'une grande vague d'agitations et de grèves. Si à cette situation menaçante pour elle a succédé une démobilisation de la classe ouvrière, ce ne fut nullement grâce aux forces «illégales» du fascisme, mais grâce aux méthodes parfaitement légales dont la bourgeoisie italienne avait toujours usé avec succès depuis la constitution du Royaume, son État étant par ailleurs admirablement entraîné à leur adjoindre les méthodes violentes en cas de besoin, et ne cherchant même pas à s'en cacher.
Les prolétaires qui, dans les années 1919-20, luttèrent dans la rue, dans les usines et jusque dans les campagnes se heurtèrent d'abord aux armées régulières de la démocratie qui les traitèrent à coups de fusil. L'État disposait déjà des carabiniers, de la police et de l'armée (dans certains cas, la marine et l'aviation elles-mêmes intervinrent!), mais ces corps s'étant révélés insuffisants après la guerre, quoiqu'ils aient été renforcés, Nitti créa une garde royale qui lui permit non seulement de renforcer encore l'État, mais d'encadrer ces bandes inquiètes et menaçantes de démobilisés et d'aventuriers qui pullulent toujours après les guerres en les armant pour qu'ils déversent sur les ouvriers et les paysans en lutte leurs propres rancunes et frustrations de ratés. C'est donc sous les balles des très démocratiques forces de l'ordre que les ouvriers sont tombés au début de 1919, preuve que la première vague qui fut décisive de répression anti-prolétarienne est venue d'un gouvernement (ou mieux d'une série de gouvernements) strictement démocratique-libéral, ou, comme on dirait aujourd'hui «progressiste». Ce gouvernement savait pouvoir compter sur l'appui des chefs syndicaux et des réformistes du Parti socialiste d'Italie ainsi que sur l'inconsistance des maximalistes, et c'est en parfaite logique bourgeoise que la répression démocratique s'accompagna de toute une démagogie de «mesures de prévoyance sociale» (prix politique du pain, plans de réforme agraire et enfin contrôle sur l'industrie), mais surtout de l'habituel appel aux urnes, depuis toujours si efficace pour endormir les masses: élections générales de l'automne 1919, élections communales et provinciales un an plus tard, élections générales, de nouveau, en automne 1921. Nitti et Giolitti alternaient au pouvoir, en attendant de céder celui-ci à l'ex-socialiste Bonomi, comme cela se produisit après l'élection de mai 1921. Un document du P.C.I. de 1923 nous rappelle que le premier avait porté à 65.000 le contingent des carabiniers et à 35.000 celui des douaniers, qu'il avait équipé 45.000 gardes royaux et renforcé le réseau d'espionnage intérieur. Le second mit en ligne l'armée lors des événements d'Ancône. Leurs cartes de démocrates étaient donc parfaitement en règle, et c'est à juste raison qu'on les considère aujourd'hui comme les pères de la République italienne. Le blason de la démocratie n'est-il pas orné tout à la fois du bulletin de vote et du fusil?
Le prolétariat se battit avec une énergie inlassable. Pendant que les forces répressives de l'État rétablissaient peu à peu l'ordre et reprenaient le contrôle d'une situation qui avait semblé désespérée à la bourgeoisie, les «succès» (on pourrait même dire les triomphes) électoraux obtenus en détournant des énergies précieuses de la lutte armée pour les disperser dans les batailles légales, éveillèrent chez les ouvriers l'illusion qu'après la terrible hémorragie qu'elle venait de subir, la victoire de leur classe était proche et le pouvoir à portée de main. En réalité, c'est précisément en répondant aux appels de l'électoralisme parlementaire que la classe ouvrière d'Italie s'est exposée matériellement et moralement désarmée aux coups de son adversaire.
En 1920, le prolétariat était déjà réduit à une attitude défensive face à un ennemi conscient de lui avoir arraché des mains les armes de la victoire. Quand en septembre 1920, les usines furent occupées, Giolitti n'eut pas besoin de recourir à la force, méthode à laquelle il ne répugnait pourtant nullement puisqu'il l'avait toujours appliquée avec un parfait cynisme au cours de sa longue carrière (2). Il savait en effet que ni la C.G.T., ni le Parti socialiste ne voudraient courir le danger de pousser le mouvement à ses extrêmes conséquences, qu'ils se déchargeraient l'un sur l'autre de la lourde responsabilité de le diriger.
Un communiqué commun de ces deux organisations qui fut publié au début de septembre menaçait de donner pour objectif au mouvement «le contrôle des entreprises pour arriver à la gestion collective et à la socialisation de toute forme de production»; mais cette menace était soumise à une réserve, destinée à rassurer la bourgeoisie: «dans le cas où, en raison de l'obstination du patronat ou de la violation de la neutralité par le gouvernement, on n'arriverait pas à une solution satisfaisante du conflit». Le gouvernement saisit donc le rameau d'olivier qui lui était si opportunément tendu: il choisit la «neutralité»; au lieu de lancer les forces de l'ordre à l'assaut des usines occupées, il promit d'exercer lui-même, pour le compte de l'État, «le contrôle de la production», prévoyant sans peine que, privée de direction et non orientée vers la prise du pouvoir, enfermée dans les limites étroites de l'usine et empêchée d'en sortir par ses directions politiques et syndicales, la classe ouvrière déjà épuisée par deux ans de luttes sanglantes, aurait cédé par asphyxie. Quant à ses dirigeants, qui se disaient désireux d'obtenir «une amélioration des rapports entre patrons et ouvriers et une augmentation de la production», la perspective d'élections administratives suffit à leur faire venir l'eau à la bouche...
La lutte finale n'eut pas lieu (mais pas d'avantage le... contrôle de la production, promis simplement pour calmer les esprits) parce que ceux qui auraient dû attaquer en furent empêchés par les mauvais bergers et par l'État, qui du haut de sa «neutralité» attendit en toute tranquillité que les armes lui fussent finalement remises. Il n'y eut donc même pas une de ces défaites sur le terrain de la lutte de classe ouverte qui laissent dans le prolétariat des traces profondes et sont des germes de reprise et de victoire révolutionnaires. Il y eut une défaite sans combat, la plus démoralisante de toutes parce qu'elle est la pire preuve d'impuissance.
C'est alors et seulement alors, au cours de la terrible vague de reflux qui suivit le mouvement d'occupation des usines que les bandes fascistes entrèrent en scène. Elles ne visaient naturellement pas à écarter une menace prolétarienne immédiate, puisque celle-ci avait cessé d'exister, mais elles voulaient empêcher le prolétariat vaincu de relever la tête. Elles comprenaient en effet fort bien qu'il n'avait rien perdu de sa combativité et de son esprit de sacrifice (la suite des évènements le confirmera) et que les problèmes auxquels la classe dominante était incapable de donner une solution ne pouvaient manquer de se reposer par la suite avec plus de force et d'urgence que jamais.
Après la très efficace répression démocratique «normale», il fallait donc ce qu'on a appelé une «contre-révolution préventive». Lorsqu'elle se produira, elle aura été favorisée, épaulée et légalisée par les auteurs de la «stabilisation» du régime en 1921-22, c'est-à-dire par l'État, les partis de la démocratie bourgeoise et le réformisme.
Le début de l'offensive fasciste. Deux thèses fausses sur le fascisme

L'occupation des usines cessa dans la seconde moitié de septembre 1920; les élections administratives suivirent en octobre. Les deux années d'offensive des escouades fascistes commencent en réalité en novembre à Bologne (3): le 4 l'assaut est donné par les fascistes à la Bourse du Travail; le 21, ce sont les évènements du palais d'Accursio à Bologne (4). Le mouvement nait donc dans une zone agricole et il présente, dès le début, la physionomie et la composition sociale qui le caractériseront pendant toute son «escalade» contre les forteresses prolétariennes: escouades volantes recrutées dans les petites villes de province et dans les rangs d'une petite bourgeoisie famélique et désaxée ou, mieux, de couches placées au-dessous de la petite-bourgeoisie: soldats d'aventure, anciens membres de l'expédition de Fiume et ex-représentants de l'arditisme (5) de guerre, éléments désargentés de la couche moyenne, petits intellectuels en quête de gloire et de prébendes, etc... Se déplaçant d'une localité a l'autre avec la «rapidité de manoeuvre» que leur permettait non pas le génie tactique et stratégique de ses chefs, mais la connivence ouverte de l'État, ce mouvement a toujours eu pour but les citadelles ouvrières (Bourses du Travail, sièges des partis et des syndicats, cercles prolétariens, coopératives, etc...) et il se heurte à un seul ennemi: les ouvriers organisés des villes et des campagnes; il peut par contre compter sur la bienveillante neutralité de l'État et même, le plus souvent, sur son appui total.
Le fait que l'offensive anti-prolétarienne armée et «illégale» soit partie d'une zone agricole et que ses fauteurs aient été essentiellement issus des classes moyennes a donné une apparence de fondement (mais seulement une apparence) à deux interprétations, tantôt distinctes, tantôt mêlées, mais aussi fausses l'une que l'autre. Selon la première, le fascisme représentait une régression vers les méthodes de la réaction pré-capitaliste classique que les propriétaires fonciers de type féodal auraient imposée à l'aile «progressiste» de la bourgeoisie incarnée par les industriels; selon la seconde, c'était une tentative extrême et réussie des couches moyennes de s'organiser pour une révolution obéissant à leur idéologie particulière et visant des buts indépendants.
Ces deux interprétations ont fait dans le camp prolétarien des ravages dont nous subissons encore aujourd'hui les conséquences. À l'époque on ne les trouvait pas seulement dans la presse bourgeoise «de gauche» ou dans la presse réformiste, mais aussi dans celle de «l'Ordine nuovo» (6), et plus spécialement chez Gramsci, qui, lors de ses premiers pas dans le jeune Parti communiste de 1921, avait encore du mal à comprendre que le pouvoir d'État est toujours, quelle que soit la forme qu'il revête, un organe de la dictature de classe de la bourgeoisie (7).
Deux citations de Gramsci suffiront à illustrer les deux aspects ci-dessus mentionnés de l'interprétation non marxiste du fascisme. La première affirme:
«Grâce au déclin du Parti socialiste après l'occupation des usines, la petite-bourgeoisie a reconstitué militairement ses cadres et elle s'est organisée à l'échelle nationale avec la rapidité de l'éclair, sous la poussée de l'état-major qui l'avait utilisée pendant la guerre. Simple jouet dans les mains de cet état-major et des forces les plus rétrogrades du gouvernement, la petite-bourgeoisie urbaine s'est alliée aux propriétaires fonciers et pour leur compte, elle a détruit l'organisation des paysans». («Ordine nuovo», 2 octobre 1921).
La seconde disait ceci:
«La bourgeoisie industrielle a été incapable de freiner le mouvement ouvrier, et tout aussi incapable de contrôler ce mouvement que le mouvement révolutionnaire des campagnes. C'est pourquoi le premier mot d'ordre du fascisme après l'occupation des usines a été le suivant: les ruraux doivent contrôler la bourgeoisie urbaine qui n'a pas montré assez de poigne avec les ouvriers... Anti-capitalistes à l'origine, puis liées au capital, mais non complètement absorbées par lui, les classes rurales sont celles qui ont organisé l'État dans les différents pays mettant dans leur activité réactionnaire toute la férocité et l'impitoyable esprit de décision qui les a toujours caractérisées». Et Gramsci de conclure: «Avec le fascisme, nous assistons à un phénomène de régression historique» (Discours du 16-5-1925 à la Chambre des Députés).
La Gauche marxiste a théoriquement réfuté cette double thèse en montrant que «les gros agrariens» était une notion purement métaphysique et que cette prétendue «catégorie» se décomposait d'une part en propriétaires des grandes entreprises agricoles capitalistes et d'autre part en propriétaires fonciers absentéistes que seule une sociologie bâtarde pouvait considérer comme des «barons féodaux». Elle montra également que les premiers appartiennent de droit à la classe bourgeoise dominante et que les seconds se sont depuis longtemps intégrés dans le mécanisme capitaliste, vivant en parfaite symbiose avec lui, et à sa remorque. Elle a également dénié toute existence autonome et toute capacité d'initiative politique et sociale à la petite et moyenne bourgeoisie: est-il nécessaire de rappeler à ce sujet «Les luttes de classes en France» et «Le Dix-huit Brumaire» de Marx?
Toutes considérations théoriques mises à part, les deux thèses en question ont été démenties tant par les faits de 1919-24 que par leurs précédents historiques. En ce qui concerne les précédents, la grande bourgeoisie «progressiste» (aussi bien agrarienne qu'industrielle) s'est montrée disposée depuis le début du siècle «à une ouverture en direction des organisations ouvrières dirigées par les réformistes». Flattant «le peuple», réformatrice, bref giolittienne, elle a tenu fermement en main le gouvernail de l'État démocratique-bourgeois et a fait victorieusement face en personne, et sans retours obscurantistes de la réaction, à l'assaut prolétarien, usant à la fois de flatteries et de violences. Pendant les années cruciales qui ont suivi la guerre, elle n'a fait que porter à la perfection cet art subtil du gouvernement. En ce qui concerne les faits, ceux de 1919-24, c'est-à-dire de l'offensive fasciste, sont aussi faciles à déchiffrer qu'un diagramme, et il nous faut les résumer avant d'entrer dans le vif de notre sujet qui est la lutte du jeune Parti communiste dans ces dures années.
Cours réel de l'«escalade fasciste»

Si, comme nous venons de le voir, l'offensive fasciste a commencé à la fin de 1920 dans les zones rurales du Nord, en tant que mouvement organisé, le fascisme date de 1919 et il naît dans les villes, ou mieux dans la métropole lombarde, cœur de la haute finance, de la grande industrie et du grand commerce, et non point dans les profondeurs de campagnes encore barbares, dans de nouvelles Vendées. C'est là, à Turin, que se trouve le centre qui, en 1915, a mobilisé la jeunesse petite-bourgeoise interventiste en faveur et au service du grand Capital; et c'est aussi Turin qui est le berceau du réformisme ouvrier.
Le fascisme n'a donc pas été seulement couvé, mais amplement alimenté par le grand capital, et profitant de l'expérience politique de ceux qui l'ont patronné, il naît avec un programme qui ne prévoit pas uniquement l'usage de la violence (cette violence tardera à se manifester et elle ne le fera d'abord que de façon sporadique et sous des formes «non autorisées»), mais aussi et surtout des réformes. S'il suffit de réclamer des réformes anti-cléricales, de demander l'abolition du Sénat ou de se déclarer contre la royauté pour être «progressiste», alors le fascisme fut dès sa naissance à l'avant-garde de tout progressisme, y compris de celui des «communistes» italiens d'aujourd'hui, car il savait bien que c'était le seul moyen d'attirer à lui outre une fraction de l'aristocratie ouvrière, les petits bourgeois insatisfaits et les «intellectuels» qui expriment les aspirations de ces derniers et qui loin de se mobiliser et de s'organiser d'«eux-mêmes», sont toujours mobilisés et organisés par d'autres.
Le fascisme naît donc dans les villes, mais il s'étend aussitôt aux campagnes et conquiert les «ruraux». Dans quelles zones? Eh bien précisément dans les zones d'agriculture nettement capitaliste telle que la basse vallée du Pô, l'Emilie, la Romagne, qui, pendant plus de cinquante ans furent le théâtre des luttes des ouvriers agricoles c'est-à-dire de purs salariés, et des répressions féroces qu'exerça contre eux un patronat pleinement bourgeois et totalement débarrassé de toute trace de «féodalisme». À son origine, le fascisme n'existe pas dans les prétendues terres d'élection des «barons féodaux», comme l'Italie du Sud, et s'il y naît et s'y développe rapidement, c'est seulement dans les zones où, comme dans les Pouilles, les rapports de production sont de modernes rapports entre capital et travail salarié et où les rapports sociaux sont fondés sur l'antagonisme qui opposent ces derniers. La grande bourgeoisie industrielle et la grande bourgeoisie terrienne s'aident mutuellement à s'organiser, tout aussi aptes à user de violence ou au contraire à jouer le «progressisme» l'une que l'autre, et également promptes à se diviser habilement le travail pour mieux défendre leur patrimoine commun. Nulle part on ne voit donc d'«agrariens» contrôlant les industriels urbains!
Des zones capitalistes du Nord, l'offensive fasciste (qu'il faut distinguer du mouvement lui-même) est déterminée par des raisons purement tactiques: son véritable objectif stratégique, ce sont les grandes agglomérations prolétariennes, particulièrement celles du triangle industriel Lombardie - Ligurie - Piémont, et naturellement la capitale politique du Royaume. L'«escalade» vers ces objectifs n'en part pas moins des zones ouvrières les moins défendues, campagnes où le prolétariat est dispersé, petites villes de province où il est plus facile de mobiliser la racaille petite-bourgeoise pour des expéditions-éclairs aventureuses et zones où il est relativement facile de dresser l'une contre l'autre les différentes catégories dont se compose la paysannerie. C'est ainsi que dans la région de Ferrare, les fascistes commencent dès 1920 à occuper et à partager les terres, bonne tactique pour rompre la dangereuse alliance entre petits-cultivateurs ou métayers et salariés agricoles; les zones où les concentrations ouvrières ne sont pas défendues et où les salariés, très forts quand ils descendent dans la rue, sont vulnérables en tant que citoyens disséminés et isolés; les zones où le frein du réformisme à la Prampolini, «milanais» d'élection, fait contre-poids à la vigoureuse poussée des ouvriers agricoles. Dans toutes ces régions, la bourgeoisie compte attraper deux pigeons avec la même fève; elle a la mémoire longue: elle sait combien le prolétariat agricole peut être un dangereux ennemi et combien son esprit de rébellion inquiète les gros propriétaires fonciers. C'est pourquoi l'offensive part de là, c'est pourquoi elle attaque sans pitié son adversaire de classe en rase campagne pour retourner, couverte de lauriers, dans les villes et y débarrasser le terrain de son ennemi implanté dans les usines et les quartiers ouvriers.
Lâche comme toujours, la bourgeoisie italienne n'ose pas attaquer prématurément les forteresses prolétariennes que sont les quartiers ouvriers des grandes métropoles industrielles, ni même les quartiers populaires (mais à fortes infiltrations ouvrières) de la très bourgeoise ville de Rome. Il lui faudra deux ans pour y parvenir, non sans avoir préalablement assuré ses arrières, c'est-à-dire brisé la résistance ouvrière dans les provinces et les campagnes. Quand par exception, elle tentera de le faire, comme ce fut le cas au début, à Turin, à Milan, à Gênes et à Rome, elle devra battre précipitamment en retraite, panser de fameuses blessures et compter ses premiers morts. D'Emilie et de Romagne ainsi que de Basse-Lombardie, elle aura les plus grandes peines à gagner le Sud, le Nord et le Nord-Ouest. Si elle peut se déchaîner en Toscane, province combative même dans les campagnes, c'est que cette région est aussi une réserve presqu'inépuisable de petits-bourgeois déclassés ou carriéristes; elle pénétrera dans les Marches, en Ombrie, dans le Latium, visant toujours le même objectif: les cercles ouvriers, les Bourses du Travail, les sièges du parti communiste, et même, quoique dans une moindre mesure, socialiste, la rédaction des journaux prolétariens, les militants isolés. Et c'est quand les places fortes du prolétariat seront tombées que Mussolini recevra en prime sa «marche sur Rome»... en wagon-lit, et alors toutes les fractions de la bourgeoisie lui fourniront des sous-secrétaires d'État et des ministres.
Au cours de toutes ces manœuvres d'enveloppement, c'est la contre-révolution grand-capitaliste qui avance, et qui, se faisant un rempart du corps des petits-bourgeois, fonce sur l'unique ennemi: les organisations ouvrières.
Les villes et les localités sont envahies ou prises d'assaut les unes après les autres: Ferrare tombe le 20 décembre 1920, Modène le 24 janvier 1921, Trieste le 8 février (le «Lavoratore» est détruit); à la fin février, c'est le tour de Minervino, Murge et Bari; le 27-29, celui de Florence où Spartaco Lavagnini, militant communiste et dirigeant syndical, est assassiné; le 1er mars, c'est celui d'Empoli; le 4, c'est Sienne; le 22-26, Pérouse et Terni; le 31, Lucca; le 2 avril, Reggio; le 12, Prato, Foiàno du Chiana et Arezzo; le 19, Parme; le 20 Mantoue; le 22-23, Plaisance; le 2 mai, Pise; le 5, Naples. Tandis que les Bourses du travail, les sièges des syndicats, les rédactions de journaux et les sièges des partis ouvriers brûlent, et qu'ouvriers et paysans se battent comme des lions, infligeant à l'ennemi des pertes supérieures aux leurs, bref tandis que toute la péninsule est mise à feu et à sang et que les classes s'affrontent en un duel à mort, on entend claironner une fois de plus l'inévitable mot d'ordre: aux urnes! De l'arsenal de la démocratie, Giolitti tire maintenant la carte maîtresse des élections politiques.
Après cela, soutiendra-t-on encore que la «réaction agrarienne» força la main au «progressisme démocratique» des industriels en s'appuyant sur les «éléments les plus rétrogrades» placés à la tête de l'État? En réalité à la tête de l'État, on trouve la démocratie réformiste de Giolitti: c'est elle qui, dans les élections administratives de 1920, a fait bloc avec les fascistes; c'est elle qui, dans les conflits entre chemises noires et ouvriers, intervient invariablement pour aider les premiers à vaincre. Après les massacres de Ferrare, c'est Giolitti qui ordonne de «désarmer» la province d'Emilie; policiers et carabiniers font une ample moisson d'armes cachées dans les maisons des ouvriers et des paysans, mais sur celles des fascistes ils ferment les yeux. À Florence, au cours de trois journées de batailles très violentes, ce ne sont pas les chemises noires, mais les divisions blindées de l'armée et des carabiniers qui brisent la résistance héroïque des prolétaires du quartier des Scandicci. À Empoli, à Signa et a Prato, villes décidées à ne pas céder, les fascistes trouvent un asile commode dans les casernes. À Pise, c'est le général commandant la division qui ordonne d'enfoncer à coup de canon le portail de la Bourse du travail que les ouvriers refusaient d'ouvrir. Et de son côté, la magistrature ne prononce de condamnation que contre la gauche.
Épuisés par deux ans de tempêtes, laissés sans défense par le Parti socialiste, seuls contre toute la coalition bourgeoise, les ouvriers se battent avec une audace «incroyable». Surpris à Bologne, ils contrattaquent à Ferrare, à Modène, à Florence. Dans les Pouilles, les ouvriers agricoles dressent des barrages et des barricades contre les vieux flics de Giolitti et leurs fils et petits-fils transformés en chemises noires. Après la fondation du Parti communiste à Livourne en janvier 1921, les organisations militaires des jeunesses communistes ne se contentent plus d'actions défensives: elles attaquent. Les ouvriers ne comptent plus leurs morts mais les bourgeois font le bilan et constatent que, contrairement à tous leurs espoirs, celui-ci tend à devenir négatif. C'est le moment ou jamais de faire une pause pour endormir l'adversaire et reconstituer ses forces: l'occasion sera fournie par les élections.
Comme on le voit, il s'agit de tout autre chose que d'un «retour au régime d'avant la révolution bourgeoise et ses principes sacrés». Et la signification des évènements dont nous venons de retracer depuis le début le déroulement réel n'est pas du tout dans l'opposition de la «démocratie industrielle progressiste» et de la «réaction agrarienne féodale», et encore moins de la «révolution de la petite-bourgeoisie», mais dans l'opposition entre la dictature de la bourgeoisie et celle du prolétariat, dilemme posé internationalement par la fin de la guerre et inscrit en lettres de feu dans la réalité historique.
Fondation du Parti Communiste à Livourne.
Nécessité historique de la scission

Les évènements ci-dessus évoqués forment la toile de fond de la scission du vieux parti socialiste qui se produit à Livourne en janvier 1921. De cette opération chirurgicale depuis longtemps réclamée par la Gauche, le jeune Parti communiste sort armé d'un programme qui converge avec celui des bolcheviks dans toutes les questions fondamentales, comme cela est apparu clairement dès la révolution d'Octobre et pendant toute la guerre, et il peut déjà faire un bilan positif de sa lutte acharnée contre le réformisme.
Ce jeune Parti communiste n'a aucune sorte de doute sur la nature de la démocratie:
«Les rapports de production actuels, proclame-t-il, sont protégés par le pouvoir bourgeois qui, fondé sur le système représentatif de la démocratie, constitue un organe de défense des intérêts de la classe capitaliste» (Programme de Livourne, point 2).
Il n'a pas davantage de doutes sur le fait que l'offensive armée du fascisme constitue simplement la manifestation la plus évidente du «dilemme insurmontable» posé par la guerre et la paix bourgeoise aux «prolétaires d'Italie et du monde entier: ou dictature de la bourgeoisie, ou dictature du prolétariat». Immédiatement après sa constitution, il proclame:
«Travailleurs, quiconque veut vous entraîner sur d'autres voies et vous convaincre que la destruction de l'appareil d'État bourgeois n'est pas l'unique moyen de sauver les innombrables victimes du capitalisme, quiconque vous désarme moralement et matériellement en vous partant d'actions pacifiques alors que la bourgeoisie se prépare manifestement à la lutte armée et prend l'offensive contre vous; quiconque vous parle ainsi trahit consciemment ou inconsciemment la cause prolétarienne et n'est qu'un serviteur de la contre-révolution»(Manifeste pour la manifestation du 20 février 1921).
La Gauche marxiste italienne n'avait pas subi, mais bel et bien voulu la scission pour des raisons à la fois théoriques et pratiques. En ces mois de réaction bourgeoise déchaînée, il était en effet plus clair que jamais que l'unité du Parti socialiste rageusement défendue par le centre maximaliste de Serrati signifiait en réalité une capitulation devant la droite de Turati. Pareille unité ne pouvait que priver les prolétaires qui se battaient à corps perdu dans la rue, de toute direction consciente, énergique et centralisée. Cette fausse, cette mensongère unité avec des réformistes ouverts ou masqués ne pouvait être qu'un boulet aux pieds de l'héroique classe ouvrière d'Italie engagée dans une lutte inégale non seulement avec les forces «irrégulières» du fascisme, mais avec les forces régulières de l'État démocratique: il fallait donc avant tout briser cette unité pour que cette résistance désespérée aboutisse et surtout pour que, le moment venu, la contre-offensive prolétarienne triomphe.
La Gauche ne se souciait nullement de perdre telle ou telle municipalité (fût-elle la municipalité traditionnellement «rouge» de Bologne) dans l'opération, car de toute évidence, ce n'est pas là que pouvait se décider la grande bataille de classe engagée. Mais immédiatement après les évènements du Palais d'Accursio à Bologne, l'organe de la fraction communiste du P.S.I., «Il Comunista», tirait dans son numéro du 5 décembre 1920 la leçon des faits:
«Les événements de Bologne où la bourgeoisie a adopté une attitude audacieusement agressive aussi bien dans ses organisations régulières qu'irrégulières... peuvent être exploités et le sont effectivement en faveur de la thèse unitaire: nous sommes attaqués, serrons les rangs pour nous défendre. Pareille interprétation de la leçon pourtant éloquente qui vient de nous être donnée est parfaitement erronée, et même absurde. L'unité du parti existe encore; elle a même été complète pendant la campagne électorale, et pourtant la classe ouvrière n'est pas parvenue à se défendre. Pourquoi? Pour une raison bien simple: l'unité formelle peut être un front unique pour les conquêtes électorales; elle n'en est pas un pour l'action défensive et à plus forte raison offensive. Le parti constitué et entraîné pour des actions pacifiques traditionnelles se montre complètemen inapte maintenant que ce stade est dépassé et que la situation nous met devant de tout autres nécessités. L'enseignement à tirer de ce fait est que la coexistance entre droites et gauches dans le même parti est mortelle. Quand nous aurons un Parti homogène et compact, capable d'actions violentes à la fois offensives et défensives; capable de préparer moralement et matériellement ces actions en plein accord et en toute conscience pour éviter les surprises ou les retraites après coup, il se peut que nous perdions des municipalites (par exemple celle de Bologne) parce que nous seront peu nombreux, ou si nous ne les perdons pas, nous saurons les garder par la force, ou si nous ne les obtenons pas par les élections, le jour viendra où nous les prendrons par les mêmes moyens que les fascistes quand ils nous les ont arrachées, nous donnant ainsi une profitable leçon».
La brutale évidence des faits tout autant que les raisons de principe rendait donc urgente la scission que la Gauche réclamait depuis 1919 et que seule la lenteur avec laquelle les autres groupes qui adhérèrent au Parti communiste prenaient conscience de sa nécessité avaient retardée. Sous le manteau de l'unité défendue par le maximalisme (qui n'était partisan des barricades qu'en paroles), le réformisme était libre de lier pieds et poings à la classe ouvrière pour ensuite la poignarder en touchant accord avec la police et les fascistes. Après avoir développé les raisons de principe qui étaient à la base de la constitution du Parti communiste d'Italie, le rapport de la fraction communiste au Congrès de Livourne passait aux arguments pratiques sur la base de la sanglante expérience des deux années précédentes:
«Les communistes ont pour fonction de montrer aux masses que la révolution est inévitable. Sur cette base, ils peuvent et doivent donc, au moven d'une préparation morale et matérielle, accumuler les conditions qui augmenteront les chances de victoire du prolétariat, car avec un parti de classe prêt à le diriger et techniquement préparé à toutes les exigences de la lutte révolutionnaire, ce dernier acquerra toute la trempe nécessaire. Les réformistes et les sociaux-démocrates au contraire disent aux masses que la révolution est évitable ou même impossible. Ils les laissent donc sans préparation devant la crise qu'ils sont par ailleurs incapables d'éviter; quand celle-ci éclatera, non seulement le prolétariat se trouvera par leur faute dans des conditions qui permettront à la bourgeoisie de le battre facilement, mais ils apporteront eux-mêmes leur appui aux forces bourgeoises.
Quelle est la fonction d'un parti dans lequel les révolutionnaires sont mêlés aux réformistes? Elle est de retarder toute préparation révolutionnaire sérieuse et de paralyser l'action de la Gauche alors que celle de la droite se développe dans les meilleures conditions, cette action ne consistant pas à élaborer des réformes que les circonstances historiques rendent impossibles, mais bien à opposer aux tendances révolutionnaires une résistance passive qui, quand cela devient nécessaire, se mue en résistance active».
Alors que le fascisme se déchaînait contre les ouvriers avec la complicité de la démocratie et du réformisme, les sociaux-démocrates et les maximalistes se lamentaient sur la «violation de la légalité» et le «bouleversement de l'ordre», implorant l'État tutélaire de défendre la première et de rétablir le second. Remplissant avec énergie sa dure tâche d'auto-organisation le Parti communiste relevait au contraire le défi de la coalition bourgeoise sous les coups incessants de l'adversaire: en Février, son siège du «Lavoratore» de Trieste était attaqué et détruit, et les communistes de la ville étaient emprisonnés les uns après les autres. Edmondo Peluso était déporté «sans motif» dans l'ilôt de Santo Stefano. Ersilio Ambrogi était déféré au tribunal comme homicide de droit commun pour les évènements de Cecina. Spartaco Lavagnini venait de tomber à Florence sous les balles fascistes. Des centaines d'obscurs prolétaires tombaient frappés à mort dans la rue ou pris dans les griffes de l'«équitable» justice royale. Le 2 mars, le Parti communiste lança à la classe ouvrière un appel à la lutte. Il pouvait le faire, rien n'opposant plus l'action du parti à sa doctrine depuis la rupture avec les réformistes. C'était son devoir de le faire pour soutenir et galvaniser la volonté de lutte du prolétariat, et ce devoir il le remplit seul contre tous:
Appel contre la réaction fasciste
«Camarades!
Dans la tragique situation d'aujourd'hui, le Parti communiste a le devoir de s'adresser à vous.
Dans de nombreuses régions et villes d'Italie, des heurts sanglants entre le prolétariat et les forces régulières et irrégulières de la bourgeoisie se succèdent et se multiplient. Parmi tant de victimes connues ou obscures, le Parti communiste note la perte d'un de ses meilleurs militants, Spartaco Lavagnini, tombé à Florence au poste de responsabilité qu'il occupait face à la classe ouvrière et à son parti. À sa mémoire, et à celle de tous les prolétaires tombés dans la lutte, les communistes adressent le salut d'hommes que leur foi et leur action trempent contre l'épreuve.
Les évènement qui se précipitent montrent que le prolétariat révolutionnaire d'Italie ne cède pas aux coups de la réaction à laquelle la bourgeoisie et son gouvernement recourent depuis quelques mois avec ses bandes armées qui s'en prennent aux travailleurs aspirant à leur émancipation de classe. Des Pouilles rouges, de la Florence prolétarienne, de tant d'autres centres, nous parviennent des nouvelles qui montrent que malgré l'infériorité de ses moyens et de son organisation, le prolétariat a su répondre aux attaques, se défendre et frapper ceux qui le frappaient.
L'infériorité du prolétariat - qu'il serait inutile de dissimuler - dépend de l'insuffisance de son organisation; seule la méthode communiste peut la lui donner, et elle passe par la lutte contre les anciens chefs et contre leurs méthodes dépassées d'action pacifique. Les coups que la bourgeoisie porte aux masses doivent les convaincre qu'il est nécessaire d'abandonner les dangereuses illusions réformistes et de se débarrasser de ceux qui prêchent une paix sociale qui n'est historiquement plus possible.
Fidèle à la doctrine et à la tactique de l'Internationale de Moscou, le Parti communiste a appelé les forces conscientes du prolétariat d'Italie à s'unir pour se donner la préparation et l'organisation qui jusqu-là leur a manqué et qui n'a existé que dans la démagogie réformiste. Il ne prêche pas l'apaisement des esprit ni la renonciation à la violence et dit clairement aux travailleurs qu'ils ne peuvent pas se contenter des armes de la propagande, de la persuasion ou de la légalité démocratique, qu'il leur faut des armes réelles et non pas métaphoriques. Il proclame avec enthousiasme sa solidarité avec les ouvriers qui ont répondu à l'offensive des blancs en rendant coup pour coup et les met en garde contre les chefs qui reculent devant leurs responsabilités et qui propagent la stupide utopie d'une lutte sociale civilisée et chevaleresque, semant le défaitisme dans les masses et encourageant la réaction: ce sont les pires ennemis du prolétariat et c'est à juste titre que l'adversaire se rit de leurs sornettes.
Le mot d'ordre du Parti communiste est d'accepter la lutte sur le terrain que la bourgeoisie a choisi et sur lequel la crise mortelle qui la travaille l'a irrésistiblement portée. Il est de répondre à la préparation par la préparation, à l'organisation par l'organisation, à la discipline par la discipline, à la force par la force et aux armes par les armes.
Il ne saurait y avoir de meilleure préparation à l'offensive que les forces prolétariennes devront immanquablement lancer un jour contre le pouvoir bourgeois et qui sera l'épilogue des luttes actuelles».
C'est sur cette base que se constituera l'organisation militaire du Parti et en attendant, ces directives renforcent et stimulent la volonté de lutte des obscurs militants de la classe ouvrière. Le Parti n'ignore pas les difficultés qui restent à surmonter pour donner à l'action spontanée vigoureuse des masses une direction politique et une organisation unitaire et qui dérivent essentiellemert de l'influence persistante du socialisme légalitaire et pacifiste dans les masses. Il ne les cache pas non plus aux ouvriers. On ne trouve pas un atome de démagogie dans son appel, mais seulement une sévère exhortation à répondre à une réaction bourgeoise, à la fois légale et illégale, d'une implacable dureté par des moyens opposés à ceux de l'époque réformiste du Parti et que les communistes se disposaient à mettre en ceuvre. Le manifeste continue ainsi:
«L'action et la préparation doivent devenir de plus en plus effectives et systématiques, et la démagogie doit cesser. Dans la situation actuelle, il reste encore beaucoup à faire, reconnaissons-le, pour que la riposte prolétarienne aux attaques adverses prenne le caractère d'une action générale et coordonnée seule capable de nous assurer la victoire.
Pour cette action générale, le prolétariat ne pourrait aujourd'hui recourir à d'autres formes d'action que celles qui ont été bien souvent adoptées, mais dont la direction, dans l'état actuel des choses, resterait, en totalité ou en partie, dans les mains d'organismes politiques et économiques dont la méthode et la structure ne peuvent conduire qu'à de nouvelles déceptions et qui ne laissent d'autre perspective que d'être arrêtées ou abandonnées dans leur action (cette prévision ne se vérifia que trop souvent par la suite NdR). Tant que les réformistes pourront encore usurper les postes de direction dans les organisations qui encadrent les masses, il en sera ainsi.
Dans une perspective pareille, le Parti communiste n'entreprendra aucun mouvement général exigeant qu'il se mette en rapport avec de semblables éléments, à moins que la situation ne lui laisse pas d'autre possibilité. En l'état actuel, le Parti communiste affirme qu'il ne faut pas accepter d'action à l'échelle nationale en commun avec ceux dont les méthodes ne peuvent conduire qu'au désastre. S'il fallait que cette action se produise, le Parti communiste ferait son devoir pour que le prolétariat ne soit pas trahi au plus fort de la lutte, en surveillant étroitement les adversaires de la révolution.
Aujourd'hui donc, le Parti communiste donne à ses militants le mot d'ordre de résister localement sur tous les fronts aux attaques fascistes, de revendiquer les méthodes révolutionnaires, de dénoncer le défaitisme des sociaux démocrates que, par faiblesse et par erreur, les prolétaires les moins conscients peuvent considérer comme des alliés possibles, devant le danger.
Que la ligne de conduite à observer reste celle-là ou quelle devienne plus radicale, le centre du parti sait que, du premier au dernier, les communistes feront tout leur devoir, fidèles à leurs martyrs et conscients de leur responsabilité de représentants de l'Internationale révolutionnaire de Moscou en Italie.
Vive le communisme! Vive la révolution mondiale.
Le Parti communiste d'Italie
La Fédération des Jeunesses communistes d'Italie».
Conditions de l'action défensive et offensive du prolétariat

C'était la première fois que, dans cet après-guerre tourmenté, les prolétaires italiens entendaient un langage aussi direct, aussi ouvert, aussi stimulant et aussi courageux. Dans le Manifeste ci-dessus cité on trouve deux thèmes qui reviendront constamment pendant les mois suivants. Le premier est le suivant: le Parti dit aux prolétaires et se dit à lui-même: malheureusement, nous sommes sur la défensive, non parce que nous l'avons voulu ainsi, mais parce que des circonstances indépendantes de notre volonté nous l'ont imposé. Nous devons nous défendre nous-mêmes, car personne d'autre que nous ne nous viendra en aide. Nous pouvons nous défendre, à condition de descendre sur le terrain choisi par la bourgeoisie, le seul sur lequel puisse se décider le sort de la révolution et donc aussi à condition d'être prêts dès maintenant (et aussitôt que possible) à passer nous-mêmes à l'offensive, bref à condition de nous battre dans cet esprit. Le second thème est le suivant: nous avons contre nous les forces de répression régulières de l'État et les bandes irrégulières du fascisme. Ni les unes ni les autres ne pourraient rien contre le formidable élan du prolétariat, même mal armé comme il l'est aujourd'hui, si cet élan n'était précisément freiné par le lâche attachement des réformistes à la légalité et le stupide attachement des traîtres maximalistes à la prétendue «unit». Jamais nous ne vaincrons, même sur un terrain purement défensif, si nous ne nous débarrassons pas de cette double influence néfaste qui paralyse tous nos efforts pratiques. Ce sont ces thèmes centraux que le Parti tenta inlassablement de faire entrer dans la tête des magnifiques ouvriers industriels et agricoles de l'Italie de 1921; qui, aussi combatifs dans la défense que dans l'attaque, n'étaient malheureusement que trop habitués depuis des années et des années à entendre les réformistes leur chanter la chanson de la légalité et de la paix sociale, et à leur présenter la démocratie comme placée au-dessus des conflits de classe. Ces thèmes, il fallait aussi les rappeler inlassablement au sein même du jeune Parti communiste pour organiser les cadres militaires nécessaires, faute de quoi ç'aurait été le désastre.
Le Parti communiste d'Italie avait déjà ses persécutés et ses martyrs, tout comme, oubliés de tous, les anarchistes à la combativité desquels le Parti rendit toujours hommage tout en condamnant inexorablement leur idéologie. Dans une moindre mesure, les autres partis à composition ouvrière en avaient également, mais le parti de Livourne savait que la lutte comportait des risques (celui de perdre des militants, mais aussi celui de perdre... la boussole) et non seulement il s'abstint de se joindre au chœur des pleureuses du réformisme, mais il mit en garde contre elles prolétaires et militants. Pas plus qu'ils n'y avait à attendre de l'État aucune aide contre le fascisme, il n'y avait à mendier aucune pitié de sa «justice», justice bourgeoise que les communistes se proposent de détruire et non de rétablir. C'est ainsi que dans un article intitulé «Contre la réaction» et paru dans l'«Ordine nuovo» du 26/3/21 comme dans tous les organes du Parti, la centrale écrivait:
«Agitons-nous, oui; travaillons, oui, à apporter à ceux de nos camarades qui se sont le plus sacrifiés l'aide que nous leur devons pour rendre leurs dirigeants au mouvement des masses. Mais évitons l'erreur de considérer l'action visant ce but comme détachée du reste de notre action telle que la situation actuelle l'exige et que des causes profondes veulent qu'elle soit. C'est une illusion de croire qu'on puisse pousser la classe dominante et son gouverneinent à revenir à un régime normal et au respect des libertés individuelles et collectives. Pour nous, le problème n'est nullement de ramener l'adversaire au respect de la loi, de sa loi. Cela signifierait valoriser l'illusion contre-révolutionnaire selon laquelle la légalité bourgeoise favorise la lutte d'émancipation des masses. Si nous acceptions tant soit peu de nous unir dans l'action à ces mouvements dont la théorie et la tactique sont fondées sur cette erreur centrale, nous ruinerions tout l'effet de notre propagande parmi les masses et nous tomberions dans une équivoque fatale: laisser croire que si la bourgeoisie restait dans les limites de sa propre légalité, nous en ferions autant de notre côté. Cela voudrait dire que nous considérons la perpétuation du régime constitutionnel actuel comme désirable, ce qui serait oublier que, selon la critique marxiste, la liberté que ce régime affecte de concéder n'est qu'une duperie et une ressource de la conservation sociale.
Dans la bouche des communistes, on ne doit entendre aucune des ridicules phrases stéréotypées qui sont chères à la démocratie bourgeoise et à l'opportunisme soi-disant socialiste sur la liberté d'opinion, les droits de l'individu et semblables bavardages. Nous devons également éviter d'encourager chez les éléments qui sont influencés par nos cousins syndicalistes et anarchistes la tendance à abuser de ce langage petit-bourgeois tout en se croyant de véritables extrémistes. Les communistes se placent sur un tout autre terrain. Ils savent parfaitement qu'un retour à la légalité bourgeoise traditionnelle est impossible. Ils affirment que l'histoire a posé universellement un dilemme: ou la dictature ouverte de la contre-révolution, ou la victoire de la dictature révolutionnaire du prolétariat. Ils ne s'assignent pas pour but d'ouvrir une nouvelle époque de rapports politiques et juridiques «normaux» (absurdité qui signifierait uniquement le rétablissement pacifique de la domination et des privilèges capitalistes), mais de favoriser le passage à l'époque du pouvoir révolutionnaire du prolétariat. Les communistes ne disent pas à la bourgeoisie: attention, si tu ne rentres pas dans la légalité, nous ferons la révolution pour rétablir celle-ci! Ils proposent au contraire de détruire le pouvoir bourgeois par leur action révolutionnaire. Quiconque entend rester sur le terrain de la lutte pacifique, comme les sociaux-démocrates, ne sera jamais notre allié.
Pour lutter contre la réaction, il n'y a donc pas d'autre moyen que de s'organiser pour la vaincre, en luttant contre elle sans exclusion d'aucun moyen. Il faut rendre notre action indépendante des faciles sanctions du pouvoir bourgeois afin qu'elle frappe plus sûrement et plus profondément l'ennemi au cœur. Toute la question de la méthode révolutionnaire est là. Nous ne sommes pas d'accord avec les sociaux-démocrates qui s'imaginent pouvoir se passer de violer la légalité bourgeoise, non plus qu'avec les libertaires qui s'imaginent, eux, qu'après la destruction de l'ancien système, il n'est pas nécessaire d'organiser un nouveau pouvoir, une nouvelle organisation disciplinée, une nouvelle armée et même une nouvelle police contre la classe bourgeoise.
Le problème des victimes politiques et de la lutte contre la réaction n'a donc pas un caractère accidentel et négatif: il se relie au problème général et positif de l'action contre l'actuel état de choses. Ceux qui pensent qu'on peut se résoudre à marcher main dans la main avec les sociaux-démocrates le posent de façon contre-révolutionnaire et le fait de se dire à l'exact opposé d'eux en politique n'y changera rien.
Le Parti communiste lutte contre la réaction parce qu'il lutte contre le pouvoir bourgeois même lorsque celui-ci ne sort pas de ses fonctions légales. Il mène cette lutte en orientant dans ce sens la conscience et les forces du prolétariat. S'il accepte de se mettre sur le terrain de l'illégalité et de la violence, ce n'est pas parce que c'est la bourgeoisie qui l'a voulu, mais parce que c'est le seul terrain que le prolétariat ait intérêt à choisir pour accélérer la dissolution de toute légalité bourgeoise et pour ne pas se lier par avance les mains. Ce sont précisément toutes les raisons qui ont poussé le Parti communiste à se constituer et qui le conduisent aussi à définir ses méthodes propres qui ressurgissent quand il s'agit d'affronter la réaction: la réaction réside dans la domination même de la bourgeoisie: jamais notre adversaire ne se présentera à nous sous des formes différentes et plus vulnérables.
C'est pourquoi les communistes luttent contre la violence ennemie sans modifier en rien la physionomie de leur organisation et de leur tactique».
Voilà comment le Parti développa le premier des deux thèmes dont nous parlions ci-dessus. Le second, il le développera en fondant son organisation illégale contre tous ceux, réformistes ou maximalistes, qui devaient signer quelques mois plus tard l'ignoble pacte de pacification avec l'État et les bandes fascistes et dont certains regrettaient l'«alliance» parce qu'ils ne comprenaient pas qu'elle n'aurait pas donné plus de force au prolétariat, mais lui aurait au contraire inoculé le poison du défaitisme.
Les historiens d'aujourd'hui (ils sont bien bons!) ont fini par reconnaître l'œuvre accomplie dès sa naissance par le Parti sous la direction de la Gauche dans le domaine de l'organisation et de la discipline, mais ils continuent à regretter qu'il ait repoussé comme la peste l'alliance avec le réformisme, le maximalisme et la démocratie. C'est naturel de leur part, car pour eux, ce qu'il fallait sauver n'était pas la possibilité d'une reprise révolutionnaire du prolétariat, mais au contraire la démocratie. Ils sont les descendants de ceux-là même qui ont signé les pactes de pacification et donc de démobilisation du prolétariat: ils ne peuvent donc pas comprendre que la tâche du parti était précisément d'enterrer la démocratie en même temps que son fils légitime, le fascisme, au lieu de leur donner de l'oxygène, et s'ils le comprenaient, ils reculeraient d'horreur devant un tel dessein.
Le défaitisme socialiste

Pendant que le Parti communiste donnait les directives rappelées ci-dessus, le Parti socialiste se démasquait et se montrait tel que nous avions toujours affirmé qu'il était: un facteur de défaitisme au sein de la classe ouvrière.
Fidèle à sa tradition, la droite de Turati dont la majorité maximaliste n'avait pas voulu se séparer et dont elle songeait maintenant moins que jamais à se détacher prêchait la «paix sociale», le retour à des méthodes «civilisées» de lutte, c'est-à-dire à la coexistence pacifique entre partis politiques, et la renonciation du prolétariat à la violence même purement défensive: le réformisme n'avait jamais rien dit d'autre dans le passé, et il ne pouvait agir autrement. Non qu'il ait condamné théoriquement la violence à la façon de Tolstoï, d'ailleurs; comme l'écrira le Parti:
«Le social-démocrate, le social-pacifiste n'est pas contre la violence en général. Il lui reconnaît au contraire une fonction sociale et historique; seulement, pour lui, si c'est le pouvoir d'État qui en use, elle est légitime; mais quand c'est le prolétariat qui s'en sert pour se défendre contre le fascisme, elle cesse de l'être, parce qu'alors elle cesse d'être une initiative légale, une initiative d'État». Pour la social-démocratie, donc: «la formation de l'État démocratique et parlementaire a clos l'époque des luttes violentes entre particuliers, entre groupes et entre classes, et l'État est précisément là pour réprimer ces initiatives violentes comme des actions anti-sociales. Ce n'est pas au prolétaires à se défendre: c'est à... Giolitti. La droite est donc logique avec elle-même quand elle invite les prolétaires à renoncer à la lutte et l'État à user de la force contre les fascistes... qu'il finance, qu'il appuie ou qu'il laisse faire. Elle est logique avec elle-même quand elle insiste auprès des adversaires en présence pour qu'ils signent des pactes de pacification, prête à agir comme en Allemagne les Noske et les Scheidemann si elle était allée au pouvoir (comme il s'en fallut de peu), c'est-à-dire à déchaîner la violence légale de l'État contre les seuls qui aient revendiqué l'emploi de la violence de classe pour abattre la domination bourgeoise, à savoir les communistes».
Mais les maximalistes qui détenaient la direction du Parti socialiste n'avaient-ils pas proclamé à Bologne que «le prolétariat devra recourir à la violence» non seulement pour «conquérir le pouvoir», son but suprême, et pour «consolider les conquêtes de la révolution», mais aussi «pour se détendre contre les violences de la bourgeoisie», son but immédiat? N'avaient-ils pas déclaré adhérer à la IIIème Internationale sur la base des thèse de son Ier Congrès qui opposaient pourtant la solution révolutionnaire à la solution social-démocrate, réformiste et parlementaire? Après Livourne, n'insistaient-ils pas toujours auprès de Moscou pour qu'elle rectifie la scission advenue et leur ouvre les portes du Komintern? Sans doute, mais c'est en cela justement que réside la fonction spécifique du centrisme:
«Se rapprocher du programme de la gauche, le faire sien sous les formes les plus bruyantes et les plus démagogiques afin d'emprisonner le mouvement des masses et le remettre un jour (ce jour-là est arrivé) dans les mains de la droite, du réformisme déclaré qui, entre autres vertus, a du moins, lui, celle de la cohérence et celle de savoir attendre son heure en laissant agir ses alliés centristes, même lorsqu'ils le prennent comme tête de Turc pour la galerie».
Hypocrisie du maximalisme

L'offensive fasciste mit à l'épreuve la sincérité du langage «barricadier» des maximalistes et confirma la justesse de l'appréciation des communistes qui les accusaient de servir de pointe avancée et de couverture à la droite socialiste. En effet, à peine les violences «illégales» avaient-elles commencé que le Parti socialiste (non seulement la droite, mais tout le parti, à commencer par la direction maximaliste) se mit à prêcher dans les colonnes de son organe «L'Avanti!» le retour à l'ordre, la «normalisation» de la vie politique et sociale, la renonciation des prolétaires à la lutte violente. En août, il signera le pacte de pacification avec les fascistes, en parfaite cohérence avec toute cette propagande... malthusienne. Dans d'autres circonstances déjà, alors que le conflit social évoluait vers un affrontement ouvert, le maximalisme avait défendu des arguments qui, apparemment valables, dissimulaient de façon jésuitique, sa lâche volonté de céder aux premiers signes de tempête: il fallait une préparation adéquate! Il ne fallait pas se laisser attirer dans le piège en menant des actions générales avant d'être prêts! L'action individuelle devait céder le pas à l'action générale et collective, etc... etc... Désormais, même ce genre d'arguments était laissé de côté: le maximalisme déclarait maintenant sans ambages qu'il ne fallait pas recourir à la violence, même pour se défendre, et qu'on n'y recourrait pas, et il le proclamait au moment même où de jeunes prolétaires donnaient leur vie pour défendre leurs Bourses du Travail, les rédactions de leurs journaux et les sièges de leurs partis. Ce n'est pas par hasard qu'aux élections de mai 1921, le P.S.I ajouta dans son emblème un livre à la faucille et au marteau: dans les rues, on tirait, et le «parti des travailleurs» invitait ses militants à se pencher sur les tables des bibliothèques populaires! Dans les rues, on se défendait, et on attaquait même chaque fois qu'on pouvait, mais le parti qui prétendait incarner les intérêts du prolétariat répendait le discrédit sur cette combativité spontanée et inflexible, il s'en désolidarisait et la condamnait même!
Mettant en évidence la «contradiction» (purement apparente, d'ailleurs) entre les proclamations officielles du maximalisme et ces invitations indignes qu'il adressait aux prolétaires pour qu'ils offrent la joue gauche à leurs ennemis après avoir été frappés sur la droite, le parti communiste fustigea ce qui, dans les faits, apparaissait clairement comme un véritable défaitisme:
«Nous ne sommes donc plus dans une période de révolution mondiale qui doit voir l'éclatement de la lutte suprême entre prolétariat et bourgeoisie pour le pouvoir? Il n'est donc plus vrai que la bourgeoisie ne pourra être dépossédée de ce pouvoir sans lutte armée, parce que, sans lutte armée, elle ne renoncera jamais elle-même à la violence organisée? Et tout cela cesserait d'être vrai au moment précis où le fascisme vient démontrer avec éclat le contraire? Nous ne serions plus placés devant le dilemme: dictature de la bourgeoisie ou dictature du prolétariat, au moment précis où la bourgeoisie proclame audacieusement sa cynique volonté de domination et où elle annule toutes les concessions, tous les accords politiques et économiques passés entre les pouvoirs constitués et la classe travailleuse?
Les maximalistes, notons-le, ne soulèvent pas une question contingente d'opportunité tactique. Ils ne disent pas qu'en ce moment, le prolétariat doit se cantonner dans une préparation prudente, et refuser d'user ses forces dans des actions immédiates. Dans la situation actuelle, de tels arguments seraient déjà des signes de défaitisme, puisque les faits des derniers mois prouvent que plus le prolétariat évite les heurts, plus la réaction bourgeoise s'enhardit. Mais les renégats maximalistes disent et font bien pire encore. Ils condamnent avec une impudence stupéfiante, le principe même des méthodes qu'ils affectaient hier encore d'accepter, puisqu'ils donnent comme directive définitive aux masses de renoncer à la violence aussi bien dans l'avenir qu'aujourd'hui, et qu'ils font tous leurs efforts pour ramener sur le terrain de la lutte pacifique...
On pourrait objecter que le moment de la violence révolutionnaire viendra, mais en théorisant cet argument du «moment décisif», le défenseur de l'unité entre socialisme et communisme ne ferait que confirmer une chose: nos pseudo-révolutionnaires sont encore pires que les réformistes authentiques qui, eux, sont au moins assez sincères pour condamner les méthodes violentes et pour proposer clairement aux masses d'autres moyens d'action. L'explosion finale de violence révolutionnaire est nécessairement précédée d'une série de heurts épisodiques. La tâche du Parti révolutionnaire pendant cette période est de préparer et d'organiser les forces prolétariennes, mais cela est impossible si l'on prêche la renonciation à la violence, moyen d'action fondamental auquel on doit se préparer techniquement, et dont il ne suffit pas de proclamer la nécessité finale, comme le font en ce moment les chefs du Parti socialiste qui semblent reculer à mesure que leur programme d'autrefois se réalise dans les faits. Il ne serait donc plus vrai que la guerre impérialiste doive se transformer en guerre révolutionnaire de classe? Quand autrefois ils le disaient, ils ne le pensaient pas, puisqu'ils découvrent maintenant qu'il faut faire la guerre de classe non pas avec les armes dont, pendant quatre ans, les prolétaires se sont servis pour s'entre-tuer, mais avec des armes «civilisées»!
Alors que la bourgeoisie utilise dans la lutte intérieure les armes qui ont servi dans la guerre contre l'étranger, les maximalistes invoquent le désarmement, au lieu de voir dans ce fait la confirmation de la doctrine qu'hier encore ils défendaient! Face à cette situation, notre premier devoir est d'attaquer à fond les saboteurs de la révolution: la préparation révolutionnaire qui incombe à notre parti va de pair avec la liquidation des dernières traces de leur influence. La désagrégation rapide du Parti social-démocrate sera le meilleur indice de la croissance de l'énergie révolutionnaire du prolétariat italien» (Un parti en décomposition, «Il comunista» 10/3/21).
La droite est contre-révolutionnaire et n'hésite pas à le dire. Le centre est contre-révolutionnaire et tout ce qu'il a de plus que la droite, c'est l'hypocrisie: le phénomène ne se vérifie pas seulement en Italie, mais dans tous les pays; il n'est pas subjectif, mais objectif, c'est-à-dire qu'il ne dépend pas des intentions des individus. En réponse à l'article ci-dessus cité, Serrati répondit dans «L'Avanti!» en opposant «l'action méthodiquement préparée» préconisée par le communisme et dont lui, Serrati, aurait été le défenseur, aux réactions désordonnées «à chaque coup de revolver» qu'il accusait les communistes de préconiser. Et pour dissimuler la retraite précipitée de son parti devant l'attaque ennemie, il dénonçait ces actions comme «volontaristes». L'argument était insidieux et la réponse du Parti communiste fut prompte dans un article intitulé Sérénité mystificatrice du 16/3/21:
«Serrati accuse les autres de volontarisme et il est le plus volontariste de tous sans s'en apercevoir. S'il est une affirmation qui n'est ni déterministe ni marxiste, c'est bien d'attribuer, comme le fait Serrati, le manque de préparation révolutionnaire aux défauts particuliers du peuple italien: façon humoristique de comprendre la préparation révolutionnaire!
Le Parti devrait ajourner l'emploi de la violence prolétarienne jusqu'au moment où il se sentirait en mesure de déclancher une action générale et coordonnée; en attendant, il devrait s'opposer à tout conflit entre les forces prolétariennes et les forces bourgeoises, les désavouer et les condamner, sous le prétexte qu'il s'agit seulement de violence «individuelle». Il devrait même empêcher que de pareils conflits se produisent!
Notre conception est complètement opposée à celle-ci. Le parti communiste fonde toute son action sur le fait que les conditions du heurt final entre les classes existent déjà dans la période historique actuelle et que celui-ci a déjà commencé. Le but du parti est d'exercer sa propre influence dans cette lutte déterminée par les conditions historiques pour l'organiser, c'est-à-dire pour donner plus d'efficacité à la rébellion prolétarienne. Il n'utilise pas sa capacité d'initiative pour lancer des assauts isolés tant qu'il ne lui semble pas possible de les coordonner en un mouvement général ayant quelques chances de succès. Dans les conflits locaux et occasionnels qui se produisent, il prend soin de ne pas se laisser entraîner à engager toutes ses forces dans des conditions défavorables, mais il se préoccupe aussi de ne pas perdre de terrain dans le travail de préparation déjà accompli et qui doit tenir compte du coefficient de la psychologie collective. Il s'efforce de donner aux masses l'impression que sa renonciation à des initiatives révolutionnaires est un élément de force et non de faiblesse, et de renforcer en elles la conviction qu'on recourra en temps voulu aux moyens révolutionnaires; il ne doit donc pas jeter le discrédit sur eux! Voilà la différence entre notre conception et celle des socialistes, même dans la théorisation jésuitique de Serrati.
Dans la situation de ces derniers jours, les socialistes n'ont pas dit aux masses, comme Serrati: «Préparons-nous, mais évitons les heurts en ce moment». Reniant toutes leurs précédentes déclarations, ils ont dit nettement: «Voyez comme l'usage de la violence, comme la guérilla civile est terrible! La marche en avant du prolétariat doit suivre d'autres voies». Ce ne sont pas les socialistes qui ont déclanché l'offensive fasciste, bien sûr; mais leur crime est de désarmer les masses en s'imaginant arrêter l'attaque, précisément parce qu'ils croient sottement l'avoir suscitée. La formule insidieuse de Serrati n'en est pas moins défaitiste. Elle équivaut à une retraite illimitée qui ne peut que faire perdre toute force morale et matérielle aux révolutionnaires, compromettre et même rendre impossible cette préparation révolutionnaire que Serrati prétendait vouloir garantir; «préparation» signifie en effet entraînement et habitude d'interpréter correctement les faits, et non pas négation passive de la réalité ni attente fataliste, chose ou bien impossible ou exclusivement favorable à l'ennemi. Ce serait là du volontarisme négatif, et nullement la négation du volontarisme. Ce serait utiliser l'influence positive dont on dispose dans l'intérêt de l'adversaire.
Dans les faits, notre attitude est nettement différente de celle que Serrati défend et que les siens ont adoptée. Même si notre unique supériorité sur les socialistes se limitait à nous être abstenus du vil langage qu'ils ont tenu, cela suffirait à prouver la supériorité de notre méthode sur la leur. Mais il y a eu une différence dans les actes également. Nous avons dit clairement qu'il était indispensable de répondre à la violence conservatrice par les même moyens, même si l'impréparation matérielle et morale du prolétariat nous empêchait de prendre l'initiative d'une action révolutionnaire générale afin de ne pas tomber dans l'aventure ou plutôt de ne pas succomber à la trahison certaine des réformistes. Même si nous nous étions limités à proclamer notre solidarité avec les réactions prolétariennes spontanées aux violences adverses, cela suffirait à prouver la différence effective qui existe entre nous et les socialistes qui ont lâchement désavoué ces réactions. Mais nous avons en outre donné aux communistes le mot d'ordre de se tenir par avance prêts à la réplique dans le cas probable où les fascistes attaqueraient dans certaines zones. Nous restons fidèles à cette ligne d'action. Ce sont les faits qui en démontreront l'efficacité en ce qui concerne le maintien du moral des masses et pour leur encadrement par le parti. Or, cet encadrement implique qu'elles aient confiance en lui, et cette confiance est donc le premier aspect de la «préparation révolutionnaire».
Il est donc plus que jamais prouvé que les socialistes du vieux parti ont fait, en bons sociaux-démocrates, le jeu de la bourgeoisie en répetant aux masses qu'il fallait répudier les moyens violents. Il est prouvé qu'il est grotesque de prétendre justifier une telle attitude en prétextant qu'il s'agit seulement de renvoyer l'action révolutionnaire au moment opportun. Tous les contre-révolutionnaires font de semblables déclarations; elles sont la marque caractéristique du centrisme qui, dans tous les pays, est complice du réformisme, lui-mème complice de la bourgeoisie, puisqu'une telle politique est la plus apte à désarmer les masses pour les abandonner finalement désorientées et impuissantes aux coups de la contre-révolution».
De cette vieille polémique ressort clairement que dans le développement de la lutte, le maximalisme s'est placé délibérément de l'autre côté de la barricade comme le centrisme a toujours fait et fera toujours. Les bolcheviks avaient bien eu raison de considérer que dans tous les pays ce dernier était l'ennemi Nr. 1 parce que le plus insidieux et le plus acharné. Jamais donc on n'aurait dû admettre - comme malheureusement ils le firent eux-mêmes plus tard - qu'un accord même partiel avec lui était souhaitable et, pis encore, qu'il était possible d'admettre les maximalistes dans la section italienne de l'I.C. En dehors même de toute considération théorique, les faits criaient exactement le contraire.
Des élections au changement de gouvernement

Parallèlement à l'offensive fasciste qui continue pendant tout le mois d'avril se développe l'offensive patronale contre les conditions de vie de la classe ouvrière, et ce n'est pas par hasard.
Tandis qu'en février Giolitti abolissait le prix politique du pain, le patronat attaquait à la fois par des licenciements et par des réductions de salaire. En mars, des «conquêtes» ouvrières qui semblaient définitives à certains, sont abolies, surtout à Turin: chez Michelin, après un mois de négociations, non seulement les premiers licenciements sont ratifiés, mais on trouve parmi ceux qu'ils frappent des membres des commissions internes, réputés inviolables, et des représentants d'ateliers. Chez Fiat, après un mois de lutte, la reprise du travail s'effectue sous le signe «de la discipline et de l'autorité à l'intérieur de l'usine» dont la direction exige qu'elles soient «exclusivement exercées par elle sans interventions étrangères arbitraires». Pendant un an, la C.G.T. se bercera du vain espoir de voir Giolitti d'abord, puis Bonomi, instaurer le fameux «contrôle de l'Industrie» conformément à leurs promesses de septembre 1920.
À Turin même, le 25 avril, les fascistes tentent de prendre d'assaut la Maison du Peuple, centre de la bourse du travail, de la F.I.O.M. (8), et siège de divers partis et cercles ouvriers. Les fascistes ne «viennent à bout» de la résistance acharnée des ouvriers qu'en abandonnant le terrain à la police régulière qui désarme ceux-ci, arrête les «meneurs», et rend aux fascistes la politesse qu'ils lui ont faite en leur laissant toute licence d'occuper et d'incendier le bâtiment. Après cette amère expérience, toutefois, les chemises noires attendront plus d'un an avant de renouveler la tentative, jugeant plus prudent d'assurer d'abord leurs arrières!
Au défaitisme des socialistes à l'égard de la lutte prolétarienne contre les chemises noires faisait bien entendu pendant leur défaitisme dans les luttes économiques. Au contraire, l'effort du Parti communiste pour arracher les masses à cette influence démoralisante, pour les unir, dans leurs actions défensives et offensives, sous un même drapeau, avec un mot d'ordre clair et sous une direction centralisée est inséparable de leur effort pour donner à toutes les luttes syndicales une stratégie unique que les groupes syndicaux des communistes tentaient de faire triompher dans toute la C.G.T. C'étaient en effet là deux aspects inséparables de la lutte de classe: la Gauche qui s'était trempée pendant plus de dix ans au feu de la guerre qu'elle faisait aux mille incarnations du réformisme livre les deux batailles avec une énergie dont elle était seule capable et qu'elle communiqua au prolétariat des villes et des campagnes (9).
En mai 1921 les élections ont lieu. Quel meilleur moyen pour venir à bout des énergies révolutionnaires, pour bercer les militants socialistes de l'espoir d'un retour à la normale et pour ouvrir aux fascistes la voie de l'honorabilité parlementaire et démocratique, eux qui n'étaient jusque-là qu'un ramassis de matraqueurs? En effet, c'est Giolitti lui-même qui, au moyen du «bloc national», tend aux fascistes la perche qui leur permettra de jouer dans le plus pur style giolittien sur les deux tableaux de «la légalité constitutionnelle» d'une part, et de «l'illégalité de fait» de l'autre. Les réformistes d'aujourd'hui, c'est-à-dire le P.C. italien officiel, commentent de la façon suivante ce fait:
«L'intégration des candidats fascistes dans les listes du bloc national a ôté sans aucun doute l'opération politique la plus grave et la plus inconsidérée du vieil homme d'État piémontais. Elle constitua en effet une légalisation de la violence de ces chemises noires qui avaient ensanglanté le pays, et elle a été la première abdication officielle de l'État devant la subversion de droite» («I comunisti nella storia d'Italia», fasc. Nr. 4 éditeur «Calendario del Popolo» publié sous les auspices du P.C. italien officiel).
On voit que les réformistes d'aujourd'hui valent ceux d'hier, et qu'ils sont aussi incapables de comprendre que la «subversion de droite» n'était que l'autre face de la violence conservatrice de l'État, qu'elle n'aurait pas été possible sans cette dernière et qu'elles sont inséparables l'une de l'autre!
Nous n'entrerons pas ici dans le détail de ces élections de mai, qui furent les secondes après la guerre. Malgré la résistance de beaucoup de ses membres et même de sections entières qui ne provenaient pourtant pas de la fraction abstentionniste, le Parti communiste d'Italie y participa par discipline à l'égard de l'Internationale (10), engageant dans la bataille électorale toutes ses ressources, qui auraient été bien plus utilement employées à continuer son travail d'encadrement politique, syndical et militaire. Il est par contre intéressant de noter que le fascisme utilisa la période électorale pour panser ses blessures, se préparant à reprendre l'offensive armée en juillet par quelques exercices d'entraînement: assaut à la rédaction du «Soviet» le 5 mai; manifestations en Emilie contre l'arrestation d'Italo Balbo qui fut promptement libéré de prison; agression contre Francesco Misiano le 13 juin, et incendie de la Bourse du travail de Grosseto le 28 juin. De leur côté, les socialistes avaient trouvé dans le nouveau «climat démocratique» des raisons supplémentaires de pratiquer le défaitisme à l'égard des luttes ouvrières. Quand le 27 juin, Giolitti se démet, la direction du groupe parlementaire vote l'ordre du jour suivant, approuvé par le centre maximaliste:
«La direction du groupe parlementaire socialiste, tout en maintenant les directives tactiques et programmatiques fixées par ce dernier lors de sa constitution, a décidé de lui proposer de ne pas se désintéresser du développement de la crise et de sa solution. Jugeant à l'unanimité que pour des raisons, théoriques selon les uns, pratiques selon les autres, il n'est pas opportun de parler d'une participation des socialistes au gouvernement, le groupe parlementaire retient que les députés socialistes ne doivent néanmoins pas repousser à priori les éventuelles tentatives d'autres partis en vue d'en finir vraiment et durablement avec la politique de violence contre le mouvement prolétarien. Les représentants de la direction du parti approuvent cette décision».
La voilà bien, la grande recette maximaliste: nous, les «intransigeants parlementaires», nous sommes disposés à toutes les transactions qu'il voudra dès que pointe la possibilité d'un gouvernement «vraiment et durablement» disposé à faire ce que nous ne faisons pas nous-mêmes: défendre le mouvement prolétarien contre les violences «illégales». Si un tel gouvernement ne se forme pas, nous retournerons à notre intransigeance parlementaire, mais loin d'appeler les prolétaires à se défendre eux-mêmes et de les diriger dans leur lutte, nous prendrons nous-mêmes l'initiative de pactes sincères et durables avec les partis bourgeois pour faire cesser la violence!
Lorsque la montagne de la crise ministérielle accouchera de la souris Bonomi, la direction maximaliste retrouvera une virginité momentanément perdue en déclarant n'être pas satisfaite des «promesses» et des «garanties» données par le nouveau gouvernement en ce qui concerne le «rétablissement de la légalité» (la légalité, alpha et omega du bréviaire socialiste!) et n'avoir par conséquent aucune raison de renoncer à l'opposition parlementaire formelle décidée par les Congrès. Guère plus d'un mois plus tard, la virginité sera de nouveau allègrement sacrifiée sur un nouvel autel, celui du pacte de pacification, grâce aux bons offices du président de la Chambre et futur président de la République, Enrico de Nicola, mais toujours dans le cadre de «l'intransigeante opposition parlementaire».
Lutte du Parti Communiste pour l'encadrement militaire des masses

Avant de passer au pacte de pacification, fait central de la période qui part des élections de mai et de la formation du nouveau gouvernement, il nous faut revenir en arrière sur l'action menée par le Parti communiste d'Italie dans la période précédente. Par l'appel du 4 mars, le Parti communiste avait montré au prolétariat que pour répondre à la violence bourgeoise, la seule voie était celle de la violence prolétarienne, et il avait été le seul à le faire. Dénonçant le fatal défaitisme des réformistes et des maximalistes, il était tout naturellement amené à montrer que le sort de la contre-offensive ouvrière était lié à sa propre capacité de parti de l'appuyer, de la soutenir et de l'animer, mais surtout de la diriger. Il avait profité de la campagne électorale et de la fête du 1er Mai pour rappeler ces directives, dénonçant avec ténacité et constance les partis politiques à base ouvrière, mais à idéologie pacifiste et démocratique et à tactique parlementaire et légalitaire, qui détournaient une classe ouvrière restée combative malgré deux ans de défaites de sa lutte sans quartier contre toutes les institutions, légales ou illégales, préservant la domination bourgeoise.
Pourtant, il ne suffisait pas de débarrasser le terrain des idéologies pacifistes, pleurnicheuses et capitulardes du réformisme et du maximalisme. Il ne suffisait pas d'inculquer aux masses et aux militants communistes le sentiment de la nécessité de se défendre sur le même terrain que l'adversaire et même de passer à la contre-offensive dès que la situation serait plus favorable ou chaque fois que l'occasion s'en présentait au cours de la lutte «défensive» elle-même. Il ne suffisait pas de faire pénétrer dans l'esprit des jeunes militants de la classe ouvrière la conviction que seul le Parti communiste pouvait donner à la défense et à l'attaque l'encadrement nécessaire, en dehors de toutes les combinaisons électorales équivoques et de l'«unité» mensongère avec le réformisme. Tout cela ne constituait encore qu'une prémisse (d'ailleurs indispensable) à la préparation d'un affrontement général et discipliné des forces ouvrières et de la contre-révolution bourgeoise. À cet effet, la création d'un réseau d'organisation illégale du Parti, exigée dans les 21 conditions d'admission à l'internationale, n'était pas suffisante, pas plus que la propagande défaitiste des jeunesses communistes dans l'armée, ni le renforcement des groupes communistes dans les ligues prolétariennes d'anciens soldats. Il ne suffisait pas davantage, comme cela fut toujours fait, de lier l'action économique et revendicative aux exigences primordiales de la défense des organisations ouvrières devenues la cible préférée des fascistes et le centre naturel de la résistance prolétarienne: il fallait construire méthodiquement un «appareil» (tel était le terme employé) militaire obéissant à une stricte discipline de parti et s'inspirant dans toutes ses actions d'une directive politique unique.
Le problème militaire de la défense et de l'attaque est inséparable du problème politique dont il dépend: c'est la politique qui détermine les voies et les buts de la lutte militaire. On ne se défend (et a plus forte raison, on n'attaque pas) de la même façon quand on veut défendre la démocratie violée et quand on veut l'anéantir pour instaurer la dictature du prolétariat. Il est impossible d'opposer aux forces ennemies une force efficace et disciplinée si l'on ne sait pas par avance lequel des deux objectifs on vise et si au cours de la lutte des hésitations, des doutes et des préjugés se manifestent et limitent ses possibilités de développement. La clarté de la politique ou, pour employer un terme plus adapté en ce cas, de la stratégie est une condition de la puissance, de la continuité et de l'homogénéité de l'action pratique, ou, si l'on préfère, de la tactique, et cette puissance, cette continuité et cette homogénéité sont à leur tour la condition de l'efficacité et de la solidité de l'organisation.
Dans ce domaine aussi, le Parti communiste devait aller contre le courant et construire ex novo en se débarrassant des traditions les plus négatives du vieux parti socialiste qui ne pouvaient que nuire à la centralisation, à la discipline et à l'organicité du mouvement. Surtout au début, on ne pouvait ni ne devait décourager les initiatives individuelles, même périphériques, parce qu'elles étaient des manifestations saines de la combativité des militants et des simples ouvriers; mais il fallait préparer leur encadrement dans une organisation unitaire, disciplinée et donc centralisée.
Étant donné l'urgence de l'action défensive, la Fédération des Jeunesses communiste avait été chargée d'organiser localement les premiers noyaux de l'organisation militaire du Parti et d'appeler les prolétaires qui voulaient mettre leurs forces, leurs capacités techniques et leur esprit de lutte au service de la guerre sainte de la classe ouvrière contre les bourgeois et petit-bourgeois déchaînés à se regrouper autour d'elle. Le vieux parti socialiste s'était montré organiquement incapable de se donner ce minimum d'organisation: par nature, il ne pouvait le faire, et il n'y avait pas à espérer qu'il le fasse jamais. La jeune section de l'Internationale communiste devait donc montrer aux prolétaires que, même dans ce domaine, elle était la seule véritable organisation de lutte de classe.
Quand on feuillette la presse provinciale du parti à cette époque, on tombe continuellement sur des manifestations publiques de cette volonté de cristalliser autour du parti les meilleures énergies de la jeunesse ouvrière, volonté qui répondait à une évidente nécessité objective. Nous en donnerons pour exemple l'appel de la Fédération des jeunesses de la section de Milan qui, comme tous les autres, a été lancé selon les directives du centre du parti, et qui a été diffusé à des milliers d'exemplaires sous la responsabilité du Comité central des jeunesses. On trouve cet appel reproduit dans «La Commune» du 17-6-1921, organe de la Fédération communiste de Côme:
«Jeunes ouvriers, inscrivez-vous aux groupes d'action de la Jeunesse communiste!
Jeunes travailleurs,
Pendant que la réaction bourgeoise qui s'est déchaînée contre vous semble se relâcher et que vous vous imaginez avoir repoussé les attaques des mercenaires du capitalisme par la victoire électorale du 15 mai, la Jeunesse communiste sent le besoin de s'adresser une nouvelle fois à vous franchement.
Elle sent le besoin de vous rappeler que toutes les victoires obtenues pacifiquement et sur le terrain légal par le prolétariat ont été éphémères et que le triomphe électoral de novembre 1919 n'a pas du tout été le prélude de la prise du pouvoir par le prolétariat, mais celui de la contre-offensive bourgeoise sur un terrain bien plus réaliste et efficace: celui de la violence de classe.
Vous ne pouvez les avoir déjà oubliées: un mois de violences capitaliste a suffi à arracher au prolétariat les positions qu'il croyait avoir définitivement conquises par de longues années de lutte légale. Continuer à nourrir aujourd'hui de pareilles illusions pourrait être fatal à la classe travailleuse.
La classe ouvrière doit comprendre que si la réaction fasciste semble aujourd'hui fléchir, c'est qu'elle pense avoir trop affaibli les organisations ouvrières pour qu'elles soient capables de mener leur seule véritable lutte: la lutte révolutionnaire. Ce n'est pas du tout parce que les bandes armées de la réaction craindraient de ne pas pouvoir traiter à coups de bâton les 123 députés de la présente législature comme ils l'ont fait pour les 156 députés de la législation précédente!
Jeunes ouvriers!
Il faut vous convaincre que l'avalanche de bulletins de vote qui enthousiasme tellement le Parti «socialiste» n'est qu'une avalanche de papier! Ce n'est pas elle qui écrasera la force armée organisée de la classe dominante. Celle-ci ne peut être écrasée que par la force armée et organisée, mais infiniment plus nombreuse, et donc plus forte, du prolétariat.
Jeunes travailleurs!
La Fédération des jeunesses communistes vous appelle à vous regrouper autour de son drapeau, qui est celui de la jeunesse ouvrière du monde entier, celui de l'Internationale Communiste!
Elle vous appelle à vous rassembler pour organiser l'avant-garde de l'offensive révolutionnaire du prolétariat qui commencera par une contre-offensive contre le fascisme.
Avec nous, jeunes garde du Communisme et de la Révolution mondiale!».
Mais le parti était loin de borner son ambition à ces actions forcément intermittentes de défense immédiate et locale. Les mois qui avaient suivi la scission de Livourne avaient été employés à un travail fébrile d'encadrement politique et l'intervention dans la bataille électorale n'avait pas interrompu ce travail fondamental et cet immense effort et n'en avait surtout pas détourné les communistes.
C'est précisément en raison de la solidité de son encadrement politique et de sa centralisation que le Parti était parvenu à développer à l'extérieur toute la gamme des activités qui lui sont propres sans que jamais aucune d'elle apparût dépourvue de liens avec le programme de l'Internationale de Moscou et du Congrès de Livourne aux yeux des prolétaires: l'activité syndicale très intense du parti en est un exemple typique (11). Le caractère unitaire ou, comme nous disons, organique du parti s'exprimait de façon nette et directe dans le fait que chacune de ses manifestations particulières reflétait le programme d'ensemble, et se reliait de la façon la plus rigoureuse à toutes les autres, comme un simple engrenage d'une machine politique obéissant à une seule directive et tendant vers un but unique. En outre, ces activités partaient toutes avec une parfaite simultanéité de la centrale du parti, et les directives syndicales (ou autres) ne manquaient pas de mettre au premier plan les tâches et objectifs politiques du parti et les nécessités de l'action directe violente.
Le Parti était arrivé a ce résultat d'importance capitale grâce à sa lutte contre toutes les habitudes d'«autonomie» héritée du vieux parti socialiste et qu'il n'était pas facile de déraciner chez les militants passés au Parti communiste à Livourne, mais aussi contre les impatiences généreuses, mais négatives, provoquées par la dure offensive ennemie et par la séduction des appels intéressés à l'«unité» lancés par des organisations d'origine et de tradition prolétariennes. Il suffit à cet égard de rappeler comme furent réglés les cas, d'ailleurs rares, d'indiscipline dans la campagne électorale et la rigueur avec laquelle, dès le 20 mars, la C.E. du parti interdit à ses fédérations et à ses sections de conclure:
«des ententes avec d'autres partis ou courants politiques (républicains, socialistes, syndicalistes, anarchistes) pour des actions permanentes ou momentanées», non pas parce que des accords de ce genre étaient inadmissibles, mais parce que le parti devait s'assurer qu'«ils ne seraient pas, conclus en dehors de certaines limites, et seulement pour les buts et selon les modalités définies par le centre du parti et que celui-ci communiquerait dans chaque cas, pour éviter des actions incohérentes et dispersées».
Aucune autonomie n'était accordée au groupe parlementaire du parti, conformément aux 21 conditions d'admission; les groupes syndicaux émanaient directement du parti et fonctionnaient comme ses instrumcnts dans les syndicats et les usines: à plus forte raison l'organisation militaire devait-elle, du fait même de son caractère et de ses buts, constituer un réseau de parti; elle devait agir comme pôle d'attraction de tous les ouvriers décidés à se battre et les diriger précisément en raison du fait que ses buts ne pouvaient être confondus avec ceux d'aucun autre parti, que son action pratique était unitaire, et que son organisation était disciplinée et donc efficace. On trouve ces critères d'encadrement du parti parfaitement établis dans «Il Comunista» du 14 juillet qui tient évidemment compte d'initiatives d'autres partis ou groupes sur lesquelles nous reviendrons dans la seconde partie (12):
«Pour l'encadrement du parti
Sur la base du travail déjà accompli dans de nombreuses localités pour encadrer militairement les membres et les sympathisants du Parti communiste et de la Fédération des jeunesses et tenant compte des leçons qu'on peut en tirer, le Centre du Parti et celui de la Fédération des jeunesses préparent un communiqué qui établira les règles à appliquer dans ce travail indispensable d'organisation et de préparation révolutionnaires.
Etant donné que des éléments extérieurs au parti communiste prennent dans divers centres d'Italie des initiatives du même genre en dehors de la participation et de la responsabilité officielles de ce dernier, les camarades doivent attendre ce communiqué avant d'agir, de façon que les directives générales adoptées par le Parti ne se heurtent pas à des faits accomplis.
Cela signifie que le travail d'entraînement des groupes d'action communistes doit se poursuivre partout où ils existent et s'organiser là où ils n'existent pas en se conformant de façon stricte au critère suivant: l'encadrement militaire du prolétariat doit se faire dans une organisation de parti étroitement liée à ses organisations politiques. Les communistes ne peuvent ni ne doivent donc participer à aucune initiative militaire provenant d'autres partis ou prise en dehors de leur parti.
La préparation et l'action militaires exigent une discipline au moins égale à la discipline politique du Parti communiste. On ne peut observer deux disciplines distinctes. Par conséquent le communiste et le sympathisant qui se sent réellement lié au Parti (s'il fait des réserves sur la question de la discipline, il ne mérite plus ce titre) ne peuvent ni ne doivent appartenir à aucune autre organisation militaire que celles du parti.
En attendant les directives plus précises que l'expérience pratique permettra de donner, le mot d'ordre du parti à ses adhérents et aux ouvriers qui le suivent est le suivant: formation de groupes d'action dirigés par le Parti communiste pour préparer et entraîner le prolétariat à l'action militaire révolutionnaire défensive et offensive».
Dans le numéro de juillet du même organe, c'est le même effort, pleinement couronné de succès comme on verra, qui se manifeste et qui vise à donner discipline et unité aux énergies prolétariennes saines et à empêcher qu'elles se dispersent dans des initiatives désordonnées et intempestives comme cela s'était trop souvent produit dans l'histoire du mouvement ouvrier italien:
«Encadrement
(En réponse à une abondante correspondance), nous rappelons aux camarades qui sont à la tête des Fédérations et des sections que... les communistes ne peuvent participer à des initiatives étrangères au parti. Rappelant à cette occasion les critères de discipline auxquels tous les adhérents d'un parti communiste doivent obéir, nous rappelons aux camarades que le parti ne peut se donner un encadrement militaire et que celui-ci ne peut répondre à ses buts que si les membres du parti renoncent à leure points de vue tactiques particuliers, ceux-ci ne pouvant être défendus que dans les assemblées et les congrès.
L'ordre au parti de se doter d'une organisation militaire a été donné par le Comité exécutif en accord avec celui de la Fédération des jeunesses et non pas uniquement par cette dernière comme certains l'ont cru à tort.
L'encadrement militaire n'a pas été «inventé» par nous pour imiter les autres organisations similaires existant aujourd'hui. Il répond aux critères d'organisation révolutionnaire de tous les partis communistes adhérant à la Troisième Internationale. Si nous n'en avons pas pris plus tôt l'initiative, c'est que l'organisation militaire doit être précédée de l'organisation politique et c'est à cette dernière que nous avons consacré tous nos soins depuis le Congrès de Livourne. Les deux formes d'encadrement ne peuvent se substituer l'une à l'autre et ne se font pas mutuellement obstacle: elles se complètent».
Ce communiqué annonçait des décisions qui parurent publiquement dans «Il comunista» sous le titre «Encadrement des forces communistes» et qui s'inséraient dans une clarification et une délimitation générale des tâches exécutives du Parti et dans un travail de renforcement de l'organisation destiné à faciliter leur accomplissement. L'article rappelait:
«les critères organisatifs de discipline et de hiérarchie qui doivent être d'autant plus soulignés que, du fait du développement de la lutte prolétarienne, on passe de l'époque de la critique théorique à celle de la propagande et du prosélytisme et enfin à celle de l'action et du combat».
L'articie soulignait également que:
«la conception bourgeoise selon laquelle le militant d'un parti se borne à donner son adhésion idéologique, à voter pour son parti et à payer régulièrement sa cotisation» est incompatible avec la conception communiste, selon laquelle «celui qui adhère au Parti est tenu de fournir une activité pratique continue selon les exigences de celui-ci».
Dans le domaine spécifiquement militaire, il annonçait la décision de former dans toutes les sections des groupes d'action:
«composés de tous les camarades, adultes et jeunes, physiquement aptes à remplir cette fonction, aussi bien candidats que militants inscrits, ainsi que les sympathisants non inscrits à d'autres partis Politiques et ayant prouvé leur fidélité au Parti communiste et ayant pris l'engagement formel d'observer la discipline la plus stricte».
Ces groupes d'action devaient être ultérieurement réunis en compagnies liées directement au centre du parti par un réseau de responsables provinciaux. Les particularités techniques de cette organisation ne nous intéressent pas ici, mais il faut par contre noter l'insistance avec laquelle le Parti rappelait une fois encore que:
«aucun membre du Parti et de la Fédération des Jeunesses ne peut faire partie d'organisations militaires autres que celle que le Parti a constituée et qu'il dirige».
Déjà alors, certains virent dans ces dispositions rigides, parallèles à des directives sur l'activité syndicale tout aussi rigides (ce qui prouve le caractère organique de toute l'activité du jeune parti), une preuve de «schématisime», de «sectarisme» et de «dogmatisme», surtout en ce qui concerne les rapports politiques avec les autres partis et courants et l'attitude à adopter à l'égard de leurs filiales militaires «anti-fascistes». En cela, ils ne faisaient que devancer les hurlements et les trépignements des futurs théoriciens du «parti de type nouveau», de l'opportunisine stalinien, contre la Gauche. Pourtant, il est certain que le Parti (qui alors marchait tout entier avec sa direction de gauche) défendait une position de principe absolument vitale, celle de l'autonomie de Parti. Or une autonomie purement idéologique n'en est pas une: l'autonomie est théorique et pratique tout à la fois, ou elle n'est pas. Dans la situation d'alors plus que jamais, les considérations théoriques coïncidaient avec les considérations pratiques, toutes deux excluant une alliance quelconque avec des forces dans lesquelles le réalisme marxiste voyait à juste titre des complices de la conservation capitaliste.
En faisant allusion à d'«autres organisations militaires», le texte visait avant tout les Arditi del Popolo, sur lesquels nous reviendrons. Mais précisément au même moment (du 22 juin au 12 juillet) se tenait à Moscou le IIIème Congrès de l'Internationale communiste, celui-ci reçut la visite d'une délégation du P.S.I. (il s'agissait des trois «pélerins» Lazzari, Maffi et Riboldi) qui défendit en vain devant lui la cause de l'admission de ce parti dans l'Internationale communiste, en dépit de la scission de Livourne. Ces délégués reçurent alors un accueil sévère, mais, au cours de l'année qui suivit, l'Internationale se ravisa, admettant, malgré la résistance du Parti communiste d'Italie, la possibilité d'une fusion entre les communistes et les socialistes (ou du moins une partie d'entre eux) une fois que le vieux parti se serait débarrassé de la droite. À quel point pareille position était fausse et dangereuse, c'est ce que montre le pacte de pacification que les socialistes vont conclure avec le fascisme sous le nouveau gouvernement, au moment précis où le prolétariat et ses organisations subissaient une offensive plus furieuse que jamais des chemises noires.
Notes:
[prev.] [content] [end]
1. Ce rapport a été présenté à la réunion générale du Parti qui s'est tenue à Florence les 20 avril - 1er mai 1967. Il a été publié dans «Il Programma comunista», Nr. 16. [back]
2. L'historien Gaetano Salvemini, alors socialiste, avait appelé Giolitti «ministre de la maffia» à cause de son aptitude à exploiter les ressources de la démocratie réformiste et socialisante tout en utilisant les maffia locales - spécialement dans le Sud - pour s'assurer des administrations communales dociles et falsifier les élections à sa convenance, sans exclure la violence ouverte des «mazzieri» (huissiers) pour intimider les ouvriers agricoles. [back]
3. C'est ce qu'expliquera au IVème Congrès de l'I.C. le représentant du P.C. d'Italie qui défendait alors les positions de la gauche. [back]
4. Le 21 novembre 1920, les fascistes prirent d'assaut le Palais de la Municipalité dans lequel venait de s'installer la nouvelle administration socialiste triomphalement élue. Dans la fusillade qui suivit, il y eut 9 morts et 100 blessés. Ces incidents marquent le début des expéditions punitives contre les... places fortes du prolétariat, c'est-à-dire, selon la stupide conception des réf ormistes... les municipalités locales (!). [back]
5. Les «arditi» étaient des groupes d'assaut de l'armée régulière munies de poignards et de grenades à main. [back]
6. L'Ordine nuovo, fraction du Parti socialiste à conception idéaliste et ouvriériste qui suivra la fraction abstentionniste dans le nouveau parti lors de la scission de Livourne. Implantée à Turin, elle était dirigée par Gramsci et Togliatti qui devinrent plus tard les hommes de paille de Moscou contre la gauche qui avait fondé le parti. [back]
7. Cette incompréhension d'une conception marxiste fondamentale par Gramsci apparait nettement dans ce passage d'un de ses écrits: «Du point de vue constitutionnel, que veut-on dire quand on affirme qu'un État donné n'est pas une démocratie, mais la dictature d'une classe?». Et il répondait: «Cela signifie que les pouvoirs publics exécutif, législatif, et judiciaire ne sont pas séparés et indépendants les uns des autres, mais réunis en un seul pouvoir, le pouvoir exécutif». Comme si la notion de «dictature d'une classe» était d'ordre... constitutionnel, et non pas social et historique! [back]
8. F.I.O.M.: Fédération Italienne des Ouvriers Métallurgistes. [back]
9. Nous ne pouvons développer ce point capital dans le cadre du présent article, mais Prooramme Communiste publiera dans un prochain numéro une série de textes relatifs à la lutte syndicale du P.C.d'Italie lorsqu'il était dirigé par la Gauche. Ils sont riches d'enseignements d'une brûlante actualité. [back]
10. «En tant que communiste» déclara le représentant de la Gauche, «je suis d'abord centraliste et seulement ensuite abstentionniste». Et il ajoutait que si le parlementarisme révolutionnaire avait un sens quelconque, c'était précisément dans une situation réactionnaire comme celle de 1921. [back]
11. Cette activité a été évoquée dans une série d'articles parus dans «Il Programma Comunista» organe du Parti Communiste International en Italie sous le titre «L'Action du Parti Communiste d'Italie, section de la IIIème Internationale dans le mouvement syndical et dans la classe ouvrière.». Comme nous l'avons indiqué plus haut, ces textes seront publiés dans un prochain numéro de cette revue. [back]
12. Elle sera publiée dans le prochain numéro de Programme Communiste (octobre - novembre - décembre 1969). Ces initiatives étaient celles des «Arditi del Popolo», organisations militaires d'inspiration antifasciste banale. [back]
SOURCE: «PROGRAMME COMMUNISTE» NR. 45, JUILLET 1969.

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